- Fifine, Lulu, Baba, j'ai un truc à vous dire...
Première pensée qui surgit dans ma petite tête : se méfier quand mon père nous appelle par ces surnoms archinouilles alors que ma mère et lui ont choisi à notre naissance de splendides prénoms romanesques : Balthazar, Séraphine et Lubin.
Seulement voilà. Papa n'assure plus du tout. Et c'est sans doute à cause du manque de sommeil que lui est venue l'abracadabrantesque idée d'être comédien, lui qui n'a jamais réussi à nous faire croire au père Noël.
Papa s'est retrouvé du jour au lendemain à cuisiner des gratins (les plats de Mama Yaya n'ont pas fait long feu); faire le ménage, repasser le linge, aller chercher Lubin à l'école, jouer au Uno, au Lego, me faire réciter mes leçons d'histoire, surveiller si Balt ne fume pas dans sa chambre, faire des crêpes au goûter...
- Les soldes, c'est quand c'est pas cher, dit Lubin.
- Oui, mon chaton, dit papa. Mais un congé "sans solde", c'est quand on quitte quelque temps son travail, mais qu'on peut y revenir après.
- Et ça existe les congés sans solde, pour l'école ?
Comédien ? s'étrangle maman. Et pourquoi pas masseur indien tant que tu y es !
Papa relève la tête et il sourit. Puis il regarde sa montre et déclare qu'on n'a plus le temps. Que vu la circulation, il n'y a plus aucun moyen d'être à l'heure au tournage.
C'est à cet instant que j'ai une idée. Une idée géniale qui m'étonne moi-même.
C'est comme ça que j'obtiens le premier rôle de ma vie : celui de la patate.
Car, oui, papa a un texte à apprendre et a besoin que je lui donne la réplique :
- Tu vois, ma Fifine, c'est un dialogue entre une saucisse Knacki et une patate. (p. 41)