Citations sur Pour services rendus (67)
La première chose que voit Billy Drake en descendant du camion est le corps d’un homme mort étendu par terre. Celui-ci ne porte qu’un pantalon noir qui n’est guère plus qu’une guenille, et ses cheveux sont emmêlés autour de son visage comme s’ils étaient mouillés. Billy remarque qu’il est petit et très maigre. On distingue nettement ses côtes. Il ne repère aucune blessure sur le cadavre étendu au soleil, manifestement vietnamien, et se demande s’il est mort de faim
«Votre nom?
– Drake, sergent. Première classe Drake. »
Le sergent hoche la tête. Puis il indique les corps étendus, propres et intacts, comme s’ils prenaient un bain de soleil les yeux fermés.
«On vient de les sortir des tunnels. Ce camion, là, dit-il en indiquant un des camions-citernes qui ramène un tuyau, vient de déverser plus de 10000 litres d’eau dans ce tunnel. On en a eu quelques-uns. Peut-être cinq. » Le sergent paraît satisfait de sa journée de travail.
«Quand le photographe aura fini, vous pourrez aider les autres à les enterrer. Un jour comme aujourd’hui ils vont commencer à puer dans trois heures. » Billy voit un photographe en treillis, casqué, prendre des photos
des cadavres.
«Oui, sergent. »
Le sergent indique les arbres. «Vous voyez des singes dans les arbres ? »
Billy lève les yeux vers l’entrelacement épais de feuilles et de branches tout autour de la clairière. Pas de singes. «Non, sergent. »
Billy comprend que son rôle est désormais d’annoncer les mauvaises nouvelles. «Les trois gars qui étaient avec moi dans l’hélico ont été déposés dans la compagnie Alpha. Le chauffeur de camion m’a amené ici. » Il voit le visage du sergent s’assombrir.
«Un gars ? Putain, un gars ? J’en ai perdu huit le mois dernier et ils m’en envoient un seul ? » Le sergent boit une gorgée à son bidon et regarde Billy, et bien qu’ils soient de la même taille, Billy a l’impression de devoir lever la tête. «Vous êtes Superman? »
Il remarque que la presse locale appelle le suspect "le violeur du matin", parce que la plupart de ses agressions se sont produites à l'aube. L'année dernière il y a eu un "harceleur de minuit" et l'année d'avant un "violeur de l'après-midi", ce qui ne laisse pas une heure de la journée où les femmes de Kearns puissent se sentir en sécurité.
De nos jours, ils continuent de porter un gilet pare-balles et un casque, mais ils sont cantonnés dans les "zones vertes" et traînent dans les piscines des hôtels, et le sang a disparu de leurs reportages. Il sait que ce n'est pas vraiment leur faute. Les militaires ont tiré une leçon du Vietnam. Pas la leçon militaire, qui est de ne pas se mêler d'une insurrection dans un pays étranger, mais la véritable leçon, qui est de ne pas permettre à une population entière de voir les images de l'inévitable issue.
Les gens de la presse sont des animaux imprévisibles, avec une tendance manifeste au masochisme. Parfois vous leur dites d'aller se faire foutre et ils parlent alors de votre courage pour vous être opposé à eux.
Personne n'a envie d'entendre parler de coups de pied donnés à un niakoué mourant, avec du sang écumant sortant de sa poitrine, parce qu'à chaque coup ça faisait un petit bruit marrant d'emballage à bulles qui éclate. Personne ne veut entendre se moquer de ceux qui sont morts dans des positions cocasses, ni de quand il vous arrivait de chier de peur, ou de pleurer de façon hystérique, ou de vous mettre en position foetale quand on vous disait de partir en patrouille. Personne ne veut savoir que vous avez parfois pris plaisir à tuer, ou qu'il y a eu un type qui courait les prostituées malades parce qu'il voulait se faire hospitaliser pour cause de chaudepisse ou de syphilis ; il avait décidé qu'il préférait voir sa bite et ses couilles pourrir plutôt que de faire le boulot qu'on lui avait assignée.
- Vous voulez dire que vous allez utiliser le mot "niakoué" à la télévision ? Devlin ne paraît pas surpris.
Fremantle hausse les épaules. "Si la situation l'exige, oui."
Devlin réfléchit une seconde. "Ok, si c'est ce que vous voulez. Vous n'en serez que plus authentique. D'ailleurs, ajoute-t-il en riant, comme nous avons probablement plus de racistes au Nouveau-Mexique que de Vietnamiens, nous pourrions même gagner quelques voix."
Quiconque a affaire au grand public finit par le mépriser.
Ce qu'il n'avait pas compris à l'époque, c'est qu'une fois que vous avez ri d'une tête tranchée vous ne pouvez pas retourner travailler à l'usine ou dans un bureau et ronronner avec tous les autres. A ce stade, vous êtes une marchandise avariée. Et les types qui embauchaient ceux qui revenaient au pays le savaient.