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Critique de Erik35


Erik35
17 décembre 2016
LA LONGUE ROUTE

Nous sommes en 1894.
La jeune nation américaine connait la première vraie crise économique de son histoire, parfaitement comparable, en terme de dégâts financiers et surtout sociaux, à celle de 29. On compta alors jusqu'à trois millions de sans-emplois, paysans ruinés, artisans et entrepreneurs ayant tout perdu, vagabondant sur les routes américaines, trimardant, pour reprendre le terme de cet ouvrage -pour une population d'alors à peine supérieure à celle de la France d'aujourd'hui...! -, à la recherche du moindre petit boulot, survivant d'expédients et d'espoirs souvent déçus.

A l'époque, Jack London n'a encore que 18 ans mais il a déjà vu, expérimenté plus de choses que beaucoup n'en vivent en une vie entière ! Il a vécu dans plusieurs ranchs en compagnie de son beau-père qui y travaille et dont il tient le nom l'ayant adopté, ainsi que de sa mère qui le délaisse, ne l'ayant jamais vraiment aimé. Il n'a jamais connu son père biologique...

A 14 ans, il obtient son certificat d'étude mais la famille étant trop désargenté, il lui est non seulement impossible de poursuivre ses études mais il lui faudra commencer à travailler pour bouillir la marmite. Ce sera d'abord dans une conserverie ou il s'abrutit douze heures par jours pour un salaire de misère. Ayant pu s'acheter une petite embarcation grâce à sa chère nourrice noire, il quitte cet enfer pour devenir pilleur d'huîtres, ce qui lui permet à la fois de gagner beaucoup plus d'argent et de découvrir l'alcool. Il n'a que 16 ans. Et cet autre enfer, il le racontera dans son étdifiante biograhie "John Barleycorn". Après que son sloop eut totalement brûlé, il s'engage dans "La patrouille de pêche" (autre ouvrage né de ses souvenir). Puis s'engage sur un navire partant vers la mer du Japon pour a chasse aux phoques, publie sa première nouvelle à son retour, se retrouve de nouveau à trimer pour des salaires de misères dans une fabrique de toile de jute, dans une usine électrique, ou il accomplit la tâche de deux ouvriers licenciés. Abandonnant ce poste le jour où il apprend qu'un des deux ouvriers s'est suicidé suite à son licenciement, London ne retrouve pas de travail. Il a donc 18 ans, et déjà une vie derrière lui.

Nous sommes alors en plein dans cette crise d'une ampleur sans précédent durant laquelle un travailleur sur quatre perdra son boulot !

Le 6 avril de cette année 1894, Il rejoint le détachement de San Francisco d'une "armée industrielle", pacifiste, constituée de cent mille chômeurs (lancée par Jacob Coxley et commandée par le « général » Kelly) qui marchent sur Washington pour contraindre le Président à financer un vaste programme de travaux publics. La marche se fait à pied, puis en radeaux improvisés pour la descente du Missouri. le trajet s'effectue aussi souvent en chemin de fer, sur des trains « empruntés » par les marcheurs... ou loués à leur intention par des villes pressées de les éloigner. Au cours de cette aventure, le jeune individualiste débrouillard se convertit au socialisme.

C'est donc cette marche pour le travail que nous pouvons découvrir, presque pas à pas, tandis que Jack London griffonne ses notes sur le carnet que lui a offert Frank, le camarade qui l'a accompagné au début de cette aventure, mais qui a perdu la foi dans cette vie de "brûleur de dur".

Nous sommes encore bien loin de la littérature à laquelle Jack London va s'adonner -pour notre plus grand émerveillement- durant les quelques vingt-deux années qu'il lui reste à vivre. Mais quelle émotion cependant de respirer, de rire, de souffrir, de se fâcher parfois, de s'émouvoir souvent en compagnie de ce jeune homme, génie en herbe, découvrant tout à trac les souffrances humaines et son immense générosité lorsque l'existence ne laisse aucune autre échappatoire que la survie ou la mort.

De ce carnet de souvenirs rédigés à chaud, il fera un texte fort, intitulé La route" et dont un autre Jack -Jack Kerouac- se serait inspiré pour son roman de toute une génération "Sur la route".

Au bout de cette errance d'environ six mois, ce sera d'abord une belle rencontre, sa tante, Mme Mary Everhard de Chicago, dont il donnera le nom au "héros" de son grand roman dystopique et politique, "Le talon de fer" ; ce sera ensuite un mois d'enfer passé dans les geôles du comté d'Erié, souvenir doublement cruel car il y fut enfermé pour simple vagabondage au cours d'un procès sans défense possible. En sortira l'un de ses plus beaux textes (l'un des plus fantastiques aussi) :"Le vagabond des étoiles".

Ainsi, la boucle sera bouclée avant que puisse prendre enfin la légende, avec son grand voyage au Klondike et la célébrité chèrement acquise.

Il n'empêche que ces carnets, très récemment redécouverts et traduits en français pour la première fois ici sont, rétrospectivement, extrêmement émouvant pour tout lecteur passionné de l'oeuvre et de l'existence tumultueuse du californien dont on vient de commémorer le premier centenaire de la disparition.

En revanche, on peut, ainsi que le fait EffeLou dans sa critique, s'énerver du caractère souvent ampoulé de la traduction qui, tour à tour, respecte convenablement le texte dans ce qu'il a de cru pour, à d'autres moments, quasiment réinventer les notes de London dans un style très "écrit" qui n'est pas du tout le sien à cette époque. Par chance, ce très joli petit livre (malheureusement épuisé à cette heure) édité chez Tallandier sous la forme d'un carnet de notes, est en édition bilingue et d'un niveau d'anglais relativement lisible, en dehors de quelques mots et expressions techniques.

PS : L'inconditionnel de London qu'est votre lecteur ne peut mettre autre chose que 5/5 à ce texte... Qui a, cependant plus, à voir et à comprendre comme un document rare, quasi ethnologique, touchant et éloquent d'un écrivain en herbe. Il ne pourra, très probablement, qu'ennuyer ou décevoir le lecteur cherchant à retrouver le London de "L'appel de la Forêt", de "Croc-blanc" ou de "Martin Eden".

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