Croc-Blanc

Cet animal mérite d’être soigné comme un être humain, de recevoir les mêmes soins qu’un enfant malade.

Les dieux précédents n'avaient jamais atteint que sa chair, laissant son esprit libre d'accepter ou de refuser la punition. Le dieu d'amour, à l'inverse, le possédait tout entier. Ses coups le mortifiaient. Il n'en souffrait pas physiquement, mais le sang se figeait dans ses veines, et la conscience de sa faute le submergeait, plus insupportable que toutes les tortures physiques.

«  Pour conserver, il faut accepter de perdre, et pour vivre, il faut mourir un peu » .

C'était la justice de l'animal-homme qui se manifestait et, même en l'état pitoyable où il se trouvait, le louveteau en éprouva un petit frisson de reconnaissance.

Toutes ces choses étaient autant de manifestations de puissance. À travers elles, derrière elles, l'homme contrôlait et gouvernait. C'était colossal et terrifiant. Croc-Blanc eut peur, comme jadis, lorsque arrivant au camp de Castor-Gris, quand il était petit, il avait senti sa faiblesse devant les premiers ouvrages des dieux. Et quelle innombrable quantité de dieux il voyait maintenant ! Leur foule affairée lui donnait le vertige. Le tonnerre des ruées l'assourdissait et leur incessant mouvement, torrentueux et sans fin, le bouleversait. Jamais il n'avait autant senti sa dépendance du dieu d'amour. Il le suivait, collé sur ses talons, quoi qu'il dût advenir.

L'hérédié est une pâte vivante, malléable comme l'argile, dotée de nombreuses potentialités et susceptible d'être façonnée sous de multiples formes; l'environnement modèle l'argile et fixe ses contours.

De chaque côté du fleuve glacé, l’immense forêt de sapins s’allongeait, sombre et comme menaçante.

Pour conserver, il faut accepter de perdre , et pour vivre , il faut mourir un peu » …

Car le Wild exècre le mouvement. Il abomine la vie, qui est la source de tout mouvement, et malmène sans pitié tout ce qui tente de s'opposer à sa loi. Il arrête l'eau qui court vers la mer. Il fige la sève des arbres pour que le froid puisse se glisser dans leur cœur. Et son acharnement, sa férocité ne connaissent plus de limites lorsqu'il doit relever le défi que lui lance l'homme-la plus turbulente des créatures, la plus irrespectueuse aussi, la seule qui refuse d'admettre, dans le secret de son âme, que le mouvement qui nait d'elle doit aussi mourir un jour.

Autant de choses qui lui avaient enseigné que tout n’est pas liberté dans le monde, qu’il y a pour la vie des limites et des contraintes. Obéir à cette loi, c’était échapper aux coups et travailler pour son bonheur.