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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
MAMAN LES P'TITS BATEAUX QUI VONT SUR L'EAU...

Deux hommes d'âge mûr mais encore jeunes discutent au bord d'une piscine. L'un comme l'autre pratiquent la voile. Les deux sont des amoureux de la mer. Ils rêvent, depuis toujours, d'horizons lointains. Soudain, les questions, fondamentales, fusent :

«Quand partons-nous ?»
«Pourquoi ne pas partir tout de suite ?»

Et la conclusion, allant pour ainsi dire de soi, malgré les obstacles : «Nul d'entre nous ne serait jamais plus jeune qu'aujourd'hui.» Et tous les autres projets de pouvoir attendre le retour, lointain. Car c'est un voyage autour du monde et à la voile de sept années que ces deux hommes prévoient d'accomplir. L'un des deux n'est autre que le désormais célèbre Jack London. L'autre, c'est Roscoe Eames, l'oncle de Charmian, la seconde épouse de Jack, de trente ans son aîné, qui s'annoncera capitaine mais qui s'avérera lamentable navigateur hauturier...
Nous sommes en Février 1906, London n'a encore "que" trente ans (il décédera dix années plus tard seulement) et si L'Appel sauvage (NB : L'appel de la forêt, dans sa douteuse traduction malheureusement la plus souvent admise) l'a rendu célèbre tandis que Croc-Blanc l'a assez largement enrichi depuis son retour du Klondike, en dehors de reportages au long cours, cet homme à la semelle de vent s'est un peu sédentarisé, surtout depuis qu'il a acheté son ranch de la fameuse Vallée de la Lune (Sonoma Valley). Mais l'aventure démange inépuisablement de tels personnages. C'est donc fort naturellement qu'il lancera la construction de son futur "Snark", sur les chantier de San Francisco.

Sans tout révéler de cette aventure hors du commun, rien ne se passera tout à fait comme prévu, et ce, presque dès le commencement. Quelques mois après le lancement du chantier - à partir de plans de London lui-même, qui reconnait pourtant qu'il ne connaissait à peu près rien en matière de construction navale -, un tremblement de terre gigantesque détruit la majeure partie de la ville et des alentours. Nous sommes le 18 Avril 1906. Si l'auteur, régulièrement commandité pour jouer les correspondants d'autant qu'il manie avec une certaine dextérité la photographie, en tirera des articles émouvants pour la presse de l'époque, la fabrication de son voilier prendra un retard considérable dû à la désorganisation complète de la région et connaîtra ainsi toute une série d'avaries, de malfaçons, de surcoûts inattendus, de soucis petits ou importants. Aussi surprenant puisse-t-il paraître, l'écrivain n'en cache rien dans ce beau texte autobiographique. Mieux : tandis qu'on comprend comment toutes ces premières mésaventures lui hérissent le poil, il parvient tout de même à en rire, à se moquer de lui-même bien souvent, et à faire contre mauvaise fortune bon coeur. Au point que, dans la post-face qu'il rédigera lui-même, il avouera s'être franchement fait abuser par nombre de fabriquant, son nom, et la légèreté de son éditeur d'alors, servant de phare aux profiteurs de tout acabit. Et lui, beau joueur, d'en sourire.

Le 23 Avril 1907, malgré tous ces retards et devant une foule considérable (cette histoire était devenue un sujet de plaisanterie et de moquerie dans le pays tout entier, après avoir d'abord passionné et enthousiasmé les foules), le Snark prend enfin la mer... Même s'il fait eau de toute part, qu'il s'avère incontrôlable par gros temps et que le fameux oncle devenu capitaine au long cours est absolument incapable de situer le navire sur l'océan, pas plus que de lui faire prendre une route directe vers Hawaï, la première halte où il est d'ailleurs prévu de réparer les moteurs électriques de secours (qui ne fonctionneront pas une seule fois de tout le voyage) !

Mais... Mais... Mais (pardon à Claude Nougaro pour ce détournement honteux), Hawaï en mai ! Un mois après l'embarquement, c'est l'arrivée sur l'archipel - qui n'est pas encore étasunien à cette date -, et c'est un émerveillement permanent, extatique. Laissons-le décrire ce qu'ils découvrent alors : «Brusquement la terre, véritable symphonie en vert aux mille nuances, se referma sur le Snark. Pas de passage dangereux ni d'écueils, plus de mer d'émeraude et d'azur : notre bateau venait de pénétrer d'un seul coup dans la passe et se trouvait maintenant au centre d'un lagon immobile. Sur de minuscules grèves, de jeunes enfants à la peau bronzée nageaient. La mer avait disparu à notre vue. La chaîne d'ancre grinçait dans l'écubier et nous demeurâmes debout sur le pont sans broncher. La scène parut si féerique que nous ne pouvions en croire nos yeux. Cet endroit, figurant sur la carte sous le nom de Pearl Harbour, fut baptisé ensuite par nous Dream Harbour, le port de nos rêves.»
On rêve d'en être ! Et même si l'on ne peut s'empêcher de penser à ce que l'histoire future réserve à ce port de rêve...

Dès lors, on suit Jack et son bizarre équipage d'Hawaï, où ils découvrent une léproserie très inhabituelle et à l'opposée des compte-rendus de la presse de l'époque, aussi édifiants que faux ; grimpent à dos de cheval sur le plus grand volcan éteint de la planète ; apprécient, avec une joie de vivre presque adolescente, les plaisirs de la glisse sur une planche de surf (il sera de fait l'un des premiers américains à faire connaître ce "sport des Rois" aux USA). Ils resteront jusqu'en novembre et le couple London tombera à ce point amoureux de l'archipel que certains biographes pensent qu'ils étaient sur le point de vouloir s'y installer à l'aube des derniers mois de son existence.

Puis, ce sont les Marquises (après une traversée plus que tumultueuse du Pacifique durant laquelle l'aventurier s'arrachera les cheveux à s'y entendre en relevés, calculs de position, recherche des alizés, etc qu'il apprendra, tout de go, à partir des livres techniques qu'il avait eu la prudence d'embarquer). Ce sera la découverte, emplie de révérence et d'émotion tout autant que de déception, de l'île de Taïohae où se trouve la vallée de Typee, célébrée par l'un des plus fameux romans d'Herman Melville. Émotion, donc, et accomplissement d'un vieux désir mais profonde déconvenue, sur place, car plus rien ne subsiste alors de ce que l'auteur de Moby Dick avait pu décrire un petit demi-siècle plus tôt. Pire : la colonisation a détruit toute trace de cette antique civilisation, y amenant maladies, mort, déplacements, oubli.

Il y aura de fameuses rencontres, aussi. Un drôle de type, un américain, que London surnommera "L'Homme Nature". Il y aura aussi la rencontre d'une richesse de coeur incroyable avec Tehei et son épouse Bihaura, de lignées royales mais vivant chichement, à la générosité démesurée et à la joie de vivre communicative. Tehei suivra même un temps le voyage de cet équipage de plus en plus étonnant jusque vers Tahiti. Suivront Bora-Bora, les Samoa, les Fiji où London ira se recueillir sur la tombe d'un autre de ses maîtres, Robert-Louis Stevenson. Puis, se seront les îles Salomon où tous souffriront le martyr, entre mauvaises fièvres et, surtout, d'impressionnant abcès se déclarant à la moindre petite blessure, sur les membres et sur le corps. Cela prêterait à sourire si, avec le recul, nous ne savions que ces abcès seront l'une des causes de la mort du californien. le traitement cutané qu'il s'imposa alors - un "sublimé corrosif" - provoquera de graves dysfonctionnements rénaux et furent aussi sans doute à l'origine du lupus qui accéléra la fin. En attendant ce pire, les London durent écourter cette traversée qui s'acheva dans un hôpital de Sydney en Australie, après que le Snark fut lui-même transformé en véritable navire-hôpital (ce sont les mots de l'auteur). London y découvrira aussi l'exploitation quasi esclavagiste des "nègres" par les planteurs blancs, mais dont peut dire qu'il en retiendra une expérience très ambiguë à lire les textes où il en est question.

Ce ne sont donc que deux années au lieu des sept prévues que Jack London racontent, à la manière d'une succession de reportages et non sous forme de journal (ce dont Charmian aura d'ailleurs la charge d'écriture) dans La Croisière du Snark. le résultat en est souvent truculent, toujours vif, plein d'un sens de l'auto-dérision auquel London nous a peu habitué dans ses autres titres auto-biographiques. Il y affirme son sens de l'humour et un sens inné de l'humain qui fait la grandeur de nombre de ses livres. C'est aussi à plus d'une reprise que l'on se rêve à bord de cette sacrée chaloupe à la mer que fut ce voilier pourtant mal conçu, mal boutiqué, mal fabriqué, mal dirigé. C'est, enfin, à son bord que notre auteur fétiche rédigera son autre grand chef-d'oeuvre (s'il ne fallait en retenir que deux ou trois au sein de ce parcours créatif fulgurant), c'est à dire Martin Eden.

Tout à la fin, on accoste, bien obligé, à Glenn Ellen, son ranch, avec un goût d'inachevé, de pas assez, de :encore ! Mais la vie ne permettra plus à Jack de partir dans de telles aventures réelles. Ce sont ses romans et ses innombrables nouvelles à suivre qui permettront de reprendre les semelles de vent à la suite de cet homme infatigable, jusqu'au bout du quai.
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Lorsque Jack London, la tête pleine des récits de voyage de Melville et Stevenson, quitte San Francisco pour les mers du Sud, le 23 avril 1907, avec sa femme Charmian et ses amis, il est loin de se douter qu'il n'accomplira pas la totalité du périple dont il rêvait. Son voyage devait durer 7 ans et l'emmener faire le tour du monde depuis San Francisco ; affaibli par de multiples ulcères et par des fièvres récurrentes, Jack London est contraint d'interrompre son voyage aux Îles Salomon en novembre 1908 pour être rapatrié sur Sidney où il sera soigné longuement.

Ce voyage s'annonce compliqué dès la construction du Snark (clin d'oeil à l'animal fantastique créé par Lewis Caroll), son navire de 17 mètres, conçu selon ses plans : en effet, le tremblement de terre d'avril 1906 à San Francisco ralentit considérablement le projet et Jack London s'endette énormément, ses créanciers ne cessant de le pressurer. Quand il finit par prendre la mer après des mois et des mois de retard, le Snark révèle toutes ses faiblesses et défauts de construction. Il en faut plus pour arrêter l'aventurier qui s'acharne et apprend la navigation en potassant les livres. La presse le croit mort quand il arrive enfin aux îles d'Hawaii !

En mer ou lors des longues escales à terre, Jack London écrit sans relâche pour nous livrer les pages magnifiques de son périple, tout en travaillant à son roman Martin Eden. Avec un enthousiasme débordant, presqu'enfantin par moments, l'écrivain nous fait vivre sa découverte des îles d'Hawaii : l'île de Maui avec sa belle ascension du volcan Haléakala, dont le sommet vierge et ennuagé n'accueillait pas encore de télescopes, l'île de Molokai et sa grande léproserie, très active à l'époque, où les lépreux jouissaient d'une vie à peu près normale, enfin Oahu où il découvre, émerveillé, le surf sur les plages sauvages et paradisiaques de Waikiki (Honolulu n'est pas encore défigurée par les buildings).
Jack London poursuit vers les Marquises, puis les îles de la Société, avec des escales enchantées à Papeete, Raiatea, Bora-Bora, puis les îles Samoa, les Fidji, enfin les Salomon... D'une plume superbe, l'écrivain partage les rencontres et des expériences qui l'ont marqué, comme cette grande pêche aux cailloux à Bora-Bora, sa rencontre avec Ernest Darling, l'Homme de la Nature, ou celle avec Tehei, un polynésien qui deviendra son ami.
Avec une énergie et un bonheur sans mélange, il se jette à chaque fois dans l'apprentissage de ce qu'il ne connaît pas : la pêche à la dorade, le surf et même... la navigation et la médecine ! Ce qui donne un chapitre extrêmement drôle sur ses difficultés à s'orienter avec boussole, sextant et tables de navigation mais plus pathétique sur ses essais de soigneur de l'équipage avec la pharmacopée limitée dont il ne maîtrise guère les composants.

Son récit souffre de quelques omissions regrettables sur l'équipage qui l'accompagnait : les japonais, le cuisinier, le mousse et les différents capitaines. Mais Jack London ne souhaitait pas écrire un journal de bord, cette tâche étant dévolue à sa femme Charmian qui s'en est acquittée à merveille. Non, à l'instar des écrivains voyageurs qu'il admirait tant, il nous a légué un fabuleux récit de voyage empli de joie de vivre et d'enthousiasme qui fera rêver bien des générations... Alors, sans plus tarder, embarquez sur le Snark et cap sur les mers du Sud !

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Formidable récit d'une aventure maritime unique comme seul London pouvait en tenter et qui permet de découvrir la mer dans son état d'origine avant les irrémédiables saccages du monde moderne.
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