À une époque où la marine à vapeur a remplacé petit à petit la marine à voile : John Pathurst, jeune écrivain/dramaturge à succès, et un brin blasé par la vie, s'offre un caprice de nouveau riche en se payant une croisière sur le voilier Elseneur. Ce dernier est chargé d'affréter un chargement de charbon, depuis Baltimore jusqu'à Seattle, en passant par le très redouté Cap Horn.À la tête du navire, le mutique et énigmatique capitaine Nathaniel West, et secondé par la brute Mr Pike s'est donné pour mission de mater un équipage constitué de parias, assassins et repris de justice.Une fois le Cap Horn passé, une mutinerie éclate, créant une division entre l'avant et l'arrière du navire. Pathurst, jusque-là témoin passif de la folie et de la violence de l'équipage, va se muer en homme d'action pour protéger celle qu'il aime : Margaret, la fille du capitaine.
Le quatrième de couverture des éditions Libretto souligne que ce livre a été écrit « au sortir d'une grave dépression éthylique ». Si l'alcoolisme de London n'est pas une donnée inédite. Elle permet néanmoins d'éclairer sur les circonstances ayant permis d'accoucher d'un roman comptant parmi les plus sombres de son auteur. Les mauvais traitements, les sévices et la mort y sont omniprésents. Les effets désinhibants de l'alcool sont bien connus, mais couplés à la plume de l'écrivain cela donne un livre totalement décomplexé, où la pensée suprémaciste de London éclate au grand jour.
Jusqu'à présent, je l'avais relevé par petites touches dans son oeuvre. Cela pouvait être perçu comme des préjugés inhérents à l'époque où les récits ont été écrits.
Il est déjà difficile de faire admettre au grand public que
Jack London n'est pas un écrivain de littérature jeunesse ; il sera encore plus difficile d'expliquer les ambiguïtés d'un écrivain qui a oscillé toute sa vie entre ses engagements socialistes, pour la cause animale… et le « darwinisme social » - doctrine du philosophe anglais
Herbert Spencer et dont les écrits de London ont été grandement sous l'influence - qui consiste à appliquer aux rapports sociaux la théorie de sélection et de classification des espèces de Darwin. Pour la faire courte : il est normal que certains peuples en dominent et exploitent d'autres.
Dans «
Les Mutinés de l'Elseneur » cela se manifeste par une emphase mise sur les traits caractéristiques des divers occupants du navire. Ainsi les membres d'équipage sont tous « bruns », « basanés », « difformes » portants en eux tout l'atavisme de leur « race » (cela est dit explicitement dans le texte). Là où les passagers et le personnel de commandement sont loués pour la finesse de leurs traits, leurs yeux bleus et leurs cheveux blonds. Et destinés par l'ancestralité de leur sang à commander aux inférieurs.
Un livre problématique donc, plombé par son parti pris idéologique, et qui aurait pu être un grand roman d'aventures. London, malgré tout, excelle toujours dans la tension qu'il instaure de manière crescendo, et l'on se surprend à des fulgurances lors de certaines réflexions philosophiques et métaphysiques. Mais c'est trop peu face au discours idéologique qu'il nous martèle au fil des pages.
Pour ceux qui auraient peur de ressortir d'une lecture avec « La nausée et les mains sales », comme le veut le crédo de notre époque. Je leur conseille plutôt de lire «
Le loup des mers », un vrai récit d'aventures avec des réflexions philosophiques et métaphysiques intéressantes, et ne donnant pas à chaque page l'envie de voir mourir son personnage principal.
Quant à
Jack London, ne soyez pas trop dur avec lui, le XXème siècle s'est suffisamment chargé de lui donner tort.