La place Sainte-Anne, bordée d'arbres, se situe au centre de Copenhague, non loin du Palais royal. A l'heure du déjeuner, surtout par beau temps, elle est noire de monde. Un jour du printemps de 1977, un homme solidement bâti pénétra dans la cabinet téléphonique à une extrémité de la place. Alors qu'il composait un numéro, un touriste portant un sac à dos, s'arrêta pour lui demander son chemin puis continua sa route. Il ne fallut pas plus de temps à Gordievsky pour glisser une bobine de microfilms dans la poche de la veste de Guscott. De plus, Jorn Bruun s'tait assuré que les lieux n'étaient pas surveillés par le PET et un officier subalterne du MI6 traînait sur un banc voisin.
Guscott fonça dans une planque du MI6 qui se trouvait à proximité, s'enferma à clé dans une pièce, sorti de son sac une paire de gants de soie et une petite boîte plate de 15 cm de long et de 7 cm de large, de la taille d'un carnet. Il tira les rideaux, éteignit la lumière, déroula la bobine, inséra une extrémité dans la petite boîte et la fit passer de bout en bout.
"J'avais les paumes moites, à tâtonner dans le noir. Je savais que, si je n'étais pas dans les temps, il me faudrait laisser tomber. Si j'abîmais le film, c'était grave".
Trente-cinq minutes après le premier échange furtif, les deux hommes s'adonnèrent au même scénario à l'autre coin du parc. Le film regagna la poche de Gordievsky. Impossible de détecter leur manœuvre à moins d'être un agent de surveillance parfaitement entraîné.
NdL : j'admire!
Le PET service de renseignements de la police danoise
Profitant d'une absence d'Oleg, des spécialistes s'introduisirent à nouveau dans son appartement et vaporisèrent ses vêtements et ses chaussures d'une poussière radioactive. Invisible à l'oeil nu, elle pourrait être détectée grâce à des lunettes adéquates ou en utilisant un compteur Geiger approprié. Désormais, Gordievsky ne pourrait plus faire un pas sans être suivi à la trace.
Dans un organisme vertical et veule, une chose est plus dangereuse que de révéler sa propre nullité : attirer l'attention sur la stupidité de son supérieur.
Dans un organisme vertical et veule, une chose est plus dangereuse que de révéler sa propre nullité: attirer l'attention sur la stupidité de son supérieur.
L'Union soviétique était une immense prison, où 280 millions d'individus étaient enfermés derrière des frontières lourdement gardées par un million d'officiers et d'informateurs du KGB. La population se trouvait sous surveillance constante et aucune branche de la société n'était plus épiée que le KGB lui-même.
Dans le monde de l'espionnage, que ce soit à l'Est ou à l'Ouest, on boit énormément pour chasser le stress et estomper la réalité. La relation très particulière entre espion et agent traitant nécessite souvent beaucoup d'alcool pour bien fonctionner. A l'inverse d'autres départements gouvernementaux, les agences de renseignement recrutent des gens pleins d'imagination qui possèdent ce que Winston Churchill appelait "des esprits aussi droits que des tire-bouchons". Si être intelligent, excentrique ou soiffard vous avait désigné comme un traître en devenir, alors la moitié des espions anglais ou américains de la Seconde Guerre Mondiale auraient été suspects. Dans ce domaine, le KGB était différent: l'ivresse et l'individualisme étaient mal vus.
En faisant ses adieux à Oleg, Bromhead se rendit compte qu'il ne connaissait pas grand chose de cet officier du Renseignement soviétique, cet homme souriant, convaincu, n'hésitant pas à risquer sa vie en pactisant avec le MI6.
La peur et un excès d’adrénaline peuvent avoir d'étranges effets sur l'esprit et sur l'appétit. Oleg aurait dû rester caché dans les sous-bois. Il aurait dû couvrir sa tête avec sa veste et laisser les moustiques se nourrir. Il aurait dû patienter. Au lieu de ça, il fit quelque chose proche de la folie.
Il décida d'aller boire un verre à Vyborg.
Dans un organisme vertical et veule, une chose est plus dangereuse que de révéler sa propre nullité : attirer l’attention sur la stupidité de son supérieur.
En effet, les services de renseignement avaient conçu ce plan après avoir vu le Russe acheter des revues pornographiques gays. Ce genre de guet-apens, vieux comme le monde, tous les services l’utilisaient. Le PET ne comprit jamais pourquoi Oleg n’avait pas mordu à l’hameçon. L’expérimenté officier du KGB avait-il flairé la manœuvre de séduction ? Ou bien l’appât n’était-il pas à son goût ? L’explication était plus simple : Gordievsky n’était pas gay. Il ne s’était même pas rendu compte de la manœuvre.