La Joconde sourit parce que tous ceux qui lui ont dessiné des moustaches sont morts.
La civilisation dont celle du XIXe siècle devient sous nos yeux l'hésitante et optimiste préface, ne dévalorise pas sa conscience de l'inconnaissable; elle ne la divinise pas non plus. Elle est la première qui le sépare de la religion et de la superstition. Pour l'interroger.
Et sans cette interrogation, le Musée Imaginaire ne serait pas né.
L'art n'est évidemment pas devenu une religion, mais il est devenu foi. Le sacré de la peinture n'est plus un sacré des dieux, c'est un sacré des morts. Cézanne et Van Gogh, croyants, tiennent plus à l'entrée de leurs tableaux au Louvre, qu'à l'ensevelissement de leur corps dans la terre chrétienne. Pour Cézanne comme pour Van Gogh, Degas, Matisse ou Braque, le lieu sacré, c'est le Louvre. Parce que pour chaque peintre, les œuvres qu'il y élit sont survivantes. Ses images délivrées du temps étaient souvent nées pour les lieux délivrés du temps : l'église, le temple. A sa manière, le musée est aussi délivré du temps. Si Dieu affirmait à Cézanne que son tableau est mauvais, Cézanne serait désolé, car ses tableaux ne le satisfont guère; mais si DIeu lui disait que sa peinture est mauvaise, le catholique Cézanne le prendrait pas la main, et le conduirait au Louvre. Nous aussi.
Pourtant, au moment où la peinture ne devrait plus concerner que les peintres, les villes d'art remplacent les villes de pèlerinage.
La propriété privée des oeuvres d'art, déjà limitée, devient viagère. Les chefs-d'oeuvres sont prêtés aux rétrospectives, presque toutes les grandes collections finissent au Musée: trois d'entre elles forment le premier musée d'Amérique.