C'est un moment à la fois triste et intense. Un moment de communion, qu'il n'aurait jamais imaginé ou cru possible. [...]
Rose sourit. Il semblerait qu'elle ait accompli la mission qu'elle s'était donnée.
Tu vas demander à une étrangère de s'occuper de ta fille alors que tu es toi-même incapable de la prendre dans tes bras et de changer sa couche ?
J'en suis resté à mes regrets, mais je ne t'ai pas dit l'essentiel, peut-être : le bonheur que j'éprouvais, dans ma vie et avec ma fille, je te le devais en grande partie. Tu m'as rendu meilleur, et permis de commencer à devenir moi-même.
Pourtant ses yeux sont fermés. Il voudrait pouvoir les rouvrir. Jamais plus ils ne le regarderont, jamais plus ils ne riront ou lui diront « Je t’aime ». Jamais plus… Il dépose des baisers mouillés sur les paupières closes. Puis pose sa tête sur sa poitrine, comme il le faisait parfois. Comme pour être sûr… Mais la petite musique du cœur n’est plus. Elle a cessé pour entrer dans un autre. Celui d’une petite fille qu’il ne connaît même pas. Il pleure sur la cruauté des faits.
Il me reste à tracer ma voie, ma deuxième vie. Je la veux différente de celle que nous vivions (je pense d’ailleurs que nous faisions fausse route). Je la veux riche et pleine, mais pas d’argent… plutôt de temps et de partage. Je la veux rieuse et pas trop sérieuse. Je la veux centrée sur les plaisirs et les petits bonheurs de la vie. Je la veux contemplative.
Tu vois, je me sens libre. Je n’ai plus peur d’être et de vivre.
Je vais vivre pour nous deux. Deux fois plus, et surtout deux fois mieux.
Je suis dans un tel manque de toi que je trompe ma solitude dans des bras sans âme qui habitent des lits froids. Je sème mon malheur sur des corps qui ne m'apaisent pas. J'étanche la soif de ma colère dans des bouches avides qui ne me désaltèrent pas. J'erre dans des chambres inconnues, comme j'erre dans ma tête, avec un cœur qui ne bat plus.
Ces femmes n'ont pas de visage puisqu'elles n'ont pas le tien.
"Je suis dans un tel manque de toi que je trompe ma solitude dans des bras sans âme qui habitent des lits froids. Je sème mon malheur sur des corps qui ne m'apaisent pas. J'étanche la soif de ma colère dans des bouches avides qui ne me désaltèrent pas. J'erre dans des chambres inconnues, comme j'erre dans ma tête, avec un coeur où le sang ne vat plus."
- Le plein ... ?
- Oui, le plein d'images, le plein d'oxygène, le plein de bonheur. Tous ces pleins-là. Ca fait tellement de bien !
- Et ça vous rend heureuse ?
- Mais oui ...
Elle se retient d'ajouter "Pas vous ?", parce qu'il se relève à peine d'un malheur trop grand pour être heureux si vite avec si peu ...
- Ca vous suffit ? demande-t-il, perplexe.
- Oui !
Et le sourire qu'elle affiche est d'une telle sincérité qu'il en reste interdit. Il n'imaginais pas que le bonheur puisse se loger dans quelque chose d'aussi simple, d'aussi "intérieure" et gratuit.
Il voulait travailler moins pour offrir plus de temps à sa fille... et à la vie.
La plupart des pères vous le diront : on naît père à la naissance de l'enfant.