Citations sur Rupture(s) (186)
L'insomnie est l'impossible lâcher-prise, le refus du sommeil comme abandon. Passer par la nuit, accepter de disparaitre, dans l'oubli du jour passé et l'absence à soi, voilà ce dont une conscience vive a besoin pour affronter les lendemains. Mais la conscience sans sommeil étire indéfiniment le passé dont elle refuse qu'il s'efface. L'insomnie distend la présence, refuse la coupure du passé, s'épuise dans cet effort vain sans même s'en rendre compte. Il faut accepter la succession des jours et des nuits, nous dit Nietzsche, distinguer le clair de l'obscur, séparer ce que l'on peut embrasser du regard de ce qui est hors de vue. Il est des choses qui doivent rester définitivement hors champ. Celles qu'on ne peut plus voir, dans tous les sens du terme (pp. 141-142).
« On n'aime personne que pour des qualités empruntées » : selon Pascal, c'est à l'amour des autres que l'on emprunte, dans un jeu de dupes, nos propres qualités. Parfaitement impropres. C'est pourquoi la séparation est cruelle. Soudain, je cesse d'être cette personne attirante, intelligente, généreuse ou drôle. Non pas que je l'aie vraiment été, mais je l'étais à tes yeux. C'est la certitude de mon identité qui vacille. L'illusion d'un moi s'évanouit. Qui suis-je encore maintenant que je ne suis plus rien pour toi ? (p. 42).
Il faut parfois bifurquer quand le chemin emprunté semble tracé d’avance et n’est plus le fruit d’une découverte personnelle. Quand nos pieds marchent sans notre tête ni notre coeur.
Introduction
Les ruptures sont nôtres, qu'on les décide ou qu'on les subisse. Rompre avec sa famille, ses amis, son amant, son milieu, changer de métier, de pays, de langue; les ruptures nous construisent peut-être plus encore que les liens.Notre définition est tout autant dans nos bifurcations que dans nos lignes droites, autant dans les sorties de route, les accrocs au contrat que dans le contrat lui-même (p. 13)
La nuit, moment de rupture, est le temps de la lucidité, mise en suspens des contraintes, des normes et des regards qui jugent. Elle offre cet espace où la représentation est acérée, les sens exacerbés. La nuit, le mensonge à soi-même n’est pas possible.
Les accidents révèlent les fantômes, les virtualités de notre moi. Ceux qui restent dans les coulisses, attendant la chute du jeune premier pour le remplacer (p. 95).
Comment ai-je pu, moi qui ai vécu à ses côtés, le méconnaître à ce point ? La possibilité et la liberté d'être autre révèlent de manière douloureuse les illusions de l'amour et de l'affection : illusion d'une propriété et d'une proximité, d'une transparence de l'être aimé. La familiarité n'est parfois qu'une impression. Autrui pourra toujours nous surprendre, nous déstabiliser, nous laisser interdit devant ce qu'il a dit ou fait et qui paraissait inimaginable. Non seulement il ne m'appartient pas, mais il peut toujours devenir pure surprise, devenir tout autre, d'une inquiétante étrangeté (p. 27).
Il y a, dans toute rupture, l'espoir de se trouver et le risque de se perdre (p. 29).
Notre vie n'est faite que de ruptures.
Ce n'est pas seulement mon corps et mon esprit que la rupture amoureuse saccage, c'est le monde qu'elle dévaste. Elle laisse un monde à la fois surpeuplé et désolé. Rien n'échappe à la marque de cette coupure existentielle, tout en porte des traces visibles. Pour l'être quitté, il faut faire avec ce qui reste, avec ce grand débarras que devient sa vie lorsque l'autre part, laissant une montagne de souvenirs douloureux. Que faire de ces gages d'un amour dévalué ? De cette vie fantôme qui hante les couloirs de l'appartement, les rues du quartier, les lieux de vacances, mais qui se glisse aussi dans les pages des livres, dans les refrains des chansons, cette vie amoureuse perdue qui s'affiche, narquoise, sur les visages de ceux - comment font-ils ?- qui s'aiment sans se séparer.