Quand je me suis rendu à la Bank of America vendredi et que j'ai fait la queue devant le guichet, j'ai commencé à m'impatienter. Et puis je me suis repris. Plus la peine de ronger mon frein. J'ai regardé les gens autour de moi, presque avec commisération. Ils étaient encore asservis à l'horloge et au calendrier. Libéré de ces contraintes, j'ai retrouvé mon calme.
Je ne repose sur rien. Comme un personnage de dessin animé qui dépasse le bord d'une falaise mais continue à courir quelques temps dans le vide sans avoir rien remarqué.
J'ai remarqué.
Maintenant commence la chute.
Le Premier Temps est celui dans lequel on naît, on vieillit et on meurt ; c’est le temps pratique et économique, celui du cerveau et du corps.
Le Deuxième temps s’écarte de cette définition simple. Il comprend, simultanément, le passé, le présent et l’avenir. Aucune horloge, aucun calendrier ne détermine son existence. En y entrant, on sort du temps chronologique et on le considère comme quelque chose de fixe, d’unique, plutôt que comme un front mouvant de moments.
"Parfois je crois que la seule vraie satisfaction qu'on ait dans la vie, c'est d'échouer quand on essaie de faire de son mieux."
Ce ne sont pas les paroles d'une femme heureuse.
Les vieilles habitudes mettent plus de temps à mourir que ceux qui les observent.
" ... Les critiques parlent toujours du charme et de la beauté des actrices, jamais de leur aptitude à camper un personnage. À moins, bien sûr, que l'actrice dont on parle ne soit si âgée que c'est le seul compliment qu'on puisse encore lui faire."
C'est tout moi, ça. Trente-six ans, de passades en feux de pailles, une vie semée de liaisons imitant l'amour. Mais rien de vrai, rien de solide.
Et voilà qu'ayant attendu d'être atteint d'une maladie incurable, je me mets en devoir de tomber enfin amoureux d'une femme qui est morte depuis une bonne vingtaine d'années.
Qui dit mieux ?
J’espère qu’on pourra respirer à San Diego. J’y ai jamais été. Sais pas à quoi ça ressemble. On pourrait dire la même chose de la mort.
Mon cerveau me dit que vous et moi nous sommes rencontrés pour la première fois sur la plage hier soir, dit-elle, et que jusque-là, nous étions des étrangers l'un pour l'autre. Mon cerveau me dit que je n'avais aucune raison de me comporter envers vous comme je l'ai fait. Absolument aucune raison. [...] Et pourtant je le fais.
Une autre solution me vient à l'esprit !
Je vais laisser de côté le nouvel enregistrement. Puisque le son de ma voix me gêne, je vais l'éliminer. Je vais conditionner mon subconscient par écrit - en écrivant vingt-cinq, cinquante, cent fois chaque phrase. Ce faisant, j'écouterai la Neuvième Symphonie de Mahler sur mon casque stéréo - elle sera ma flamme de bougie, mon pendule tandis que je dirai par écrit à mon subconscient qu'aujourd'hui on est le 19 novembre 1896.
Rectificatif. Je n'écouterai que le dernier mouvement de la symphonie.
Le mouvement dans lequel, comme l'écrit Bruno Walter, "Malher dit sereinement adieu au monde".
Je m'en servirai moi aussi, pour adieu à ce monde-ce, celui de 1971.
Moi, Richard Collier, suis dans l'hôtel del Coronado en ce jeudi 19 novembre 1896.
Moi, Richard Collier, suis dans l'hôtel del Coronado en ce jeudi 19 novembre 1896.
Moi, Richard Collier, suis dans l'hôtel del Coronado en ce jeudi 19 novembre 1896.
(Ecrit cinquante fois par Richard.)
Aujourd'hui, nous sommes le jeudi 19 novembre 1896.
Aujourd'hui, nous sommes le jeudi 19 novembre 1896.
(Ecrit cent fois.)
Elise McKenna est dans l'hôtel en ce moment.
(Cent fois.)
Chaque moment qui passe me rapproche d'Elise.
(Cent fois.)
Nous sommes le 19 novembre 1896.
(Soixante et une fois.)
Vingt et une heures quarante-sept. C'est arrivé.