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Critique de candlemas


Attention, lecteur, ceci n'est pas la critique d'un livre, mais un compte-rendu de thérapie ! Foin des faux-semblants ! Bel-ami, c'est moi…

Ce n'est pas un hasard si ce roman de 1885 continue d'inspirer les scénaristes. le portrait de ce répugnant arriviste s'incarne toujours par milliers dans notre monde réel, s'étendant à tous les milieux, décuplé, même, et renforcé, par le monde virtuel des sites de rencontres et réseaux sociaux... souvent, le Georges Duroy des salons du XIXème n'en devient que plus odieux et brutal.

Ce personnage De Maupassant, double exacerbé de l'auteur, partage avec son Cousin Dorian Gray la beauté mondaine et la laideur intérieure, et ce livre est une remarquable traité de manipulation –ou de séduction, ce qui revient au même-, aussi cynique, -et somme toute, honnête- que Sade et Machiavel.

Comme le Comte de Monte-Cristo, Georges Duroy détruit chacun sur son passage, mais, à la différence, ne poursuit aucun autre but que sa propre réussite sociale. Georges et Dorian n'ont pas non plus l'excuse de Dieu : chez Cazotte, encore, Alvare pouvait passer pour victime du diable…il n'en est plus question un siècle plus tard.

Aujourd'hui, ces comportements peuvent s'observer chaque jour dans tous les milieux contemporains, exacerbés par l'individualisme et le pluralisme –ou l'absence ?- des moralités, et quand le défaut d'empathie atteint les sommets décrits par Maupassant dans Bel-Ami, les psys et les victimes parlent alors de pervers narcissiques.

L'égalité naissante des sexes au XXIème siècle ne change rien à l'affaire : toujours, un homme -et une femme- sans scrupule saura s'appuyer sur les manques affectifs ou l'appétit sensuel des mieux placés pour "arriver", manipuler, jouir pour lui-même, parfois encouragé dans cette entreprise de corruption de l'âme par des intrigants plus aguerris que lui, comme l'était déjà Musset dans ses Confessions.

Tout au plus reste-t-il à écrire la version féminine de Bel-Ami, révélation littéraire des calculs d'autant plus subtils et cruels qu'elle ne peut user de la force pour parvenir à ses fins, dont la femme est capable, à l'égal de l'homme ; version moins glamour du Diable s'habille en Prada, que George Sand ne pouvait se permettre d'écrire encore.

Hélas ! Trois fois hélas ! j'aimerais pouvoir écrire que ce personnage De Maupassant me fit vomir… mais il n'en fut rien. Bien au contraire, il me fascina !!! Loin d'enfermer dans la cave ce damné miroir Wildien, je prenais plaisir à observer Bel-Ami glisser le miel à l'oreille de ses maîtresses et de ses protecteurs, avant d'en abuser au gré de ses intérêts et de sa quête de pouvoir ; je partageais aussi ses colères et sa frustration d'enfant-roi immature lorsque sa victime lui échappe ou que ses calculs se retournent contre lui.

Entre ma lecture de Bel-Ami et mes entreprises de séduction sur internet, jeune homme presque vierge que la vie venait de faire rompre avec toute morale familiale apprise, je prenais conscience, avec une sorte de vertige, de l'incroyable et fascinant pouvoir des mots, notamment sur la gent féminine, mais aussi, comme le montre bien Maupassant, sur tout être humain, avide d'exister dans les yeux d'autrui.

Bel Ami, c'est moi, et cet aveu, répétition de celui De Maupassant lui-même, me fait du bien, douze ans plus tard, comme la conclusion d'une thérapie qui s'achève. Cet étonnant pouvoir des mots me fascine toujours autant, même si j'ai aussi pris conscience depuis que chacun de nous, homme ou femme, alterne entre son rôle de Bel-Ami et celui de l'oie blanche prête à tout gober, formes opposées et pourtant semblables de l'emprise de nos egos sur notre être profond.

Il y a douze ans, le vertige de puissance qui me prit à la lecture de Bel-Ami et à l'observation de son incarnation dans mon comportement d'alors, généra la peur autant que l'excitation.

Aujourd'hui, je sais que ce pouvoir existe, mais qu'il ne m'appartient pas, qu'il peut être utile parfois, mais finit par rendre fou celui –ou celle- qui s'en remplit.. Je sais qu'il est comme le vent, gonflant nos voiles et portant les tempêtes, agréable caresse sur nos fronts mais insupportable parasite entre les deux oreilles. Je sais qu'au-delà des mots, il existe des pensées bien plus grandes et soutenantes, qui se nourrissent de silences, d'intimité, de tendresse et de gratuité, de la musique de Bach et des couchers de soleil de Turner et Monet…et font grandir le coeur.

Ainsi, avec Bel-Ami, Maupassant, qui ne cesse de jouer sur les différences et similitudes entre sa propre carrière et celle de son personnage –n'osant avouer qu'il lui ressemble probablement plus qu'il ne le dit- signe encore un roman terrible et puissant comme le Horla, pour moi compagnon d'une tranche de vie, et, pour chacun, j'en suis sûr, bien plus qu'un roman de moeurs réaliste et satirique.

C'est un chef-d'oeuvre, à plusieurs niveaux de lecture, qui, mieux qu'un sermon, participa à la «re-« construction de mes valeurs actuelles. Je gage qu'il aura aussi ce pouvoir pour d'autres lecteurs, confrontés au cynisme d'un monde contemporain peut-être pire encore que celui que dénonçait Maupassant.
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