Je me suis plongée dans ce roman avec d'autant plus de plaisir et de curiosité que c'est une période de l'histoire des USA que je connais très peu : les années pré-guerre de sécession et les événements qui ont joué dans la montée de la pensée anti-esclavagiste. Cela m'a en plus permis d'avoir une vision plus réaliste de ces années-là, dont on a malheureusement une vision assez hollywoodienne, entre la conquête de l'Ouest (version Petite Maison dans la Prairie ou Lucky Luke), l'esclavage (12 years a slave) et l'après-guerre civile (les 4 filles du Dr March ou la couleur pourpre). Mais toutes ces histoires parlent plutôt d'individus et n'abordent pas ou peu le contexte historique et politique qui les entoure (sans parler bien sûr de la caricature générale ou du révisionnisme historique qu'on peut trouver par exemple dans les westerns).
L'oiseau du Bon Dieu arrive à joindre les deux histoires, grande et petite, grâce au personnage de l'Echalote, petit esclave qui se fait libérer par le Capitaine
John Brown, qu'il suivra bien malgré lui dans sa lutte contre l'esclavage, du Kansas rural au siège de l'arsenal de l'armée fédérale à Harper's Ferry. A travers les yeux de ce petit garçon déguisé en fille, on suit donc la quête de ce personnage historique méconnu en France mais considéré comme un héros aux USA, pour avoir sacrifié sa vie à une cause noble et avoir permis de la faire connaitre dans tout le pays. Ce livre est un véritable hommage à cet homme, et le montre tel qu'il était, vieux fou illuminé et bigot, vivant de foi et d'eau fraîche, entouré de compagnons d'armes tout aussi timbrés.
L'auteur ne donne jamais de références historiques, n'explique jamais le contexte et montre donc plutôt la vie quotidienne, dans des villages, des bourgs (et leur bordel local), des grandes villes. Cela donne envie d'en savoir beaucoup plus sur cette période, mais n'est pas gênant car on en apprend beaucoup sur d'autres aspects. Dans un langage très cru (et drôle !) et sans faux-semblants, l'auteur casse en effet de nombreux stéréotypes et généralités que l'on peut avoir sur cette époque. J'ai été marquée par exemple par le fait que tous les esclaves ne voulaient pas être libérés, et que la plupart n'avaient pas du tout envie de se battre pour cela. Cela parait logique, mais ce n'est en général pas ce qu'on nous montre. Cela permet également de bien voir la différence pas seulement entre nord et sud, mais aussi et surtout entre les américains des zones rurales, qui avaient toujours vécu avec l'esclavage et ne le remettaient pas en question, pas toujours par conviction mais également par habitude et nécessité économique ; et citadins de la côte Est, qui échafaudaient des théories et décidaient de ce qui était meilleur pour le reste du pays, sans forcément en connaitre la vie quotidienne. Cela explique bien pourquoi cela n'a pu se régler que par une guerre civile, mais aussi la disparité qui persiste aujourd'hui, avec une Amérique rurale qui se sent exclue et incomprise par l'élite citadine et pense que tout se règle mieux individuellement, l'arme au poing. Et cela fait assez bien comprendre également les problèmes de racisme qui subsistent aujourd'hui…
Un livre passionnant donc, bien qu'un poil trop long (le passage où l'échalote travaille dans un bordel est assez interminable), qui donne une vision nouvelle de la lutte anti-esclavage, met en lumière l'incroyable personnage de
John Brown et aide à mieux comprendre la société américaine aujourd'hui. Et en plus, contre toute attente pour un sujet si grave, il est vraiment très drôle ! A lire donc !