Au XVIII e siècle, la demande de cadavres s'envole, et leur tarif avec. On en vient à marchander avec les vivants le droit de disposer de leur dépouille. À Édimbourg en 1828, alors centre important d'étude anatomique, William Burke et William Hare forment le premier gang de « meurtriers anatomiques », assassinant seize personnes pour vendre leurs corps aux universités locales. Par un drôle de retournement de situation, après sa condamnation, William Burke est pendu, son corps disséqué, et sa peau sert à relier un petit carnet visible encore aujourd'hui dans un musée d'Édimbourg. Dans cette économie souterraine, les cadavres n'ont pas tous la même valeur. Les noyés et les étouffés, avec des organes relativement intacts, sont préférés aux décapités ou aux pendus. On a généralement recours aux corps de criminels ou de vagabonds pour ne pas attirer l'attention. Même les dépouilles des condamnés à mort, exposées pour l'exemple, disparaissent en un éclair
Sauter dans les souliers de nos ancêtres, c'est aussi emprunter, pour un moment, leur façon de penser et leur vision du monde. Et qui sait les secrets que dissimulent l'échoppe de l'apothicaire, la paillasse du gladiateur ou les poches du ramoneur ?
Avez-vous déjà entendu parler du nain de cour ? Oui, sûrement. Des mégotiers et des voleurs de cadavres ? Un peu moins. Que dire alors du punkawallah, serviteur indien chargé d'agiter les éventails, ou de l'ermite de jardin, payé pour se laisser pousser la barbe et orner une grotte au fond d'un parc anglais ? Ces professions disparues ont un point commun : ce sont des « sales boulots », périlleux, sinistres, ardus, grotesques ou avilissants.
Ce dictionnaire, le premier du genre, en dresse l'inventaire avec humour, de l'Antiquité jusqu'au XXe siècle. On y rencontrera, à travers l'épais smog industriel, les chiffonniers chargeant dans leurs sacs de toile les ordures londoniennes. On y frappera, tôt le matin, des coups répétés aux portes des travailleurs en compagnie des knocker-ups (réveilleurs), on y baignera dans les poussières radioactives aux côtés des ouvrières de l'US Radium Corporation. On y entendra, enfin, les lamentations factices des pleureuses à gages accompagnant les cortèges funéraires, et les propos irrévérencieux des bouffons dans les cours européennes…
À l'heure où l'on débat des métiers essentiels, de la pénibilité et de la précarité du travail, Nicolas Méra nous rappelle que les emplois méprisés et mal rémunérés ont une bien longue histoire.
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