Les années sans soleil ;
Vincent Message (Seuil, 250p)
Encore une très belle découverte (le roman, l'auteur).
Elias Torres, le narrateur, « petit » écrivain (peu lu), et libraire à mi-temps, vit en 2020 plutôt heureux en famille à Toulouse. Jusqu'à ce que la pandémie (le mot n'est jamais prononcé, mais il s'agit bien de cela) rattrape et enferme tout le monde dans un confinement plus vrai que nature, avec feuilles de sorties dans un périmètre ridiculement restreint, contrôles policiers, étouffement difficile à supporter. Bref, pas vraiment une dystopie.
Il y a d'abord les remous familiaux ; Elias est en repos forcé, Camille sa compagne travaille encore, mais le couple ne tarde pas à se fissurer, les contraintes révélant les failles insoupçonnées. Maud, l'ado de 17 ans cloitrée dans sa chambre devant son PC déprime, mais laisse aussi éclater une saine colère contre ceux qui dirigent ce monde en ne pensant qu'à «leurs profits obscènes» ; quand l'étau va se desserrer, elle se retrouvera avec un groupe de jeunes fêtards face à des policiers violents... Quant à Diégo, du haut de ses 4 ou 5 ans, il doit faire aussi avec le repli sur l'appartement.
En profiter pour écrire un nouveau roman ? Elias fait le lien avec une des pires périodes de l'histoire humaine, celle où le soleil fut assombri deux années durant (en 535-536) sur l'ensemble du globe (évènement absolument attesté historiquement), sans doute suite à une énorme éruption volcanique, qui se traduira par des conséquences climatiques et donc humaines dramatiques. Pourtant,
Vincent Message n'écrira pas le roman historique de ces deux années noires, même si elles servent de fil conducteur à son héros Elias Torres pour remplir ce temps vide et désespérant. Il nous fera par contre le portrait du petit noyau d'amis du libraire-auteur, tous passionnés de littérature, plus ou moins ancrés dans des idéaux hérités des révoltes des opprimés du monde, une belle atmosphère d'ex-militants gauchistes généreux et pas vraiment désenchantés. «
Les années sans soleil » est aussi, et presque d'abord, un très beau roman sur l'amitié qui réchauffe.
Les deux premiers tiers du roman, assez descriptifs, évoquent cette période bizarre et angoissante du confinement, puis les évènements se précipitent, chahutant plus le narrateur, sa famille, ses amis… et le lecteur. Il y a de belles considérations sur le bonheur de l'écriture et les affres du travail de romancier, sur la lecture, mais aussi un constat sévère et juste sur l'état de délitement de notre société, de ses services publics... La jeunesse, lucide, semble, sous la plume de Message-Torres, nous offrir pourtant une voie de résistance et de belle conscience des enjeux sociaux, et la tonalité générale du roman n'est pas du tout désespérante.
C'est bien écrit, avec fréquemment de belles tournures de phrases (« il n'y avait plus personne en ville, que la ville elle-même » / « Il aurait arrêté d'écrire pour se contenter de lire les autres, parce qu'on se tait à une tablée devant ceux qui parlent trop fort »). En plus,
Vincent Message m'a donné envie de découvrir
Pasolini l'écrivain… et la belle ville de Toulouse.
Un beau coup de coeur littéraire, à consommer avant que l'on ne chasse de nos esprits empesés les souvenirs dérangeants d'une période grosse de perspectives pas vraiment réjouissantes.