Une impression, ça s’imprime, le mot le dit. Une impression rare, qui s’est atténuée les fois suivantes, mais sans jamais s’effacer complètement. L’impression d’être redevenu un petit garçon. Normalement, dans ton bureau, c’est toi qui en imposes. Tu n’es pas extraordinairement costaud, mais tu as une bonne carrure et le regard ferme, tu sais faire baisser des yeux. Tu assumes sans la moindre gêne le rôle de mâle dominant, dans ton bureau, du moins, car dans la vie, c’est… autre chose.
Le marteau de démolition est conçu pour frapper fort, avec plus ou moins de précision, et pour arracher. Idéal pour défoncer un crâne ! Le fait que la victime ait survécu ne peut s’expliquer que par la maladresse de la présumée agresseuse, ou par une relative retenue de cette dernière, ou par une veine de cocu. Il n’y a pas d’autres empreintes que les siennes sur le manche, mais il y en a peu, ce qui donne à penser que le marteau n’avait jamais servi avant. Il semble d’ailleurs neuf.
À toi qui avais été arrachée à ton Haïti natal, où la vie était dure, mais si douce en même temps, à toi qui avais été séparée de ta famille, jetée dans cet âpre pays sans la moindre préparation, malmenée, à toi tenue pour rien, à toi abusée et pratiquement réduite en esclavage, Madame Moïse était apparue telle la statue de la Liberté sur le socle de laquelle la tempête t’avait enfin déposée. Et la confiance que tu avais spontanément mise en elle n’avait jamais été trahie.
Chaque fois que le malheur s’était manifesté, elle avait été là pour t’aider, et jamais les terribles coups que tu avais reçus n’étaient venus à bout de toi. Toujours, tu t’étais relevée, parce c’était ce que Madame Moïse t’avait enseigné, à toi autant qu’à toutes et à tous : quelle que soit l’injustice de sa condition, ou quelle que soit l’injustice humaine, toujours, toujours il faut avancer. Chacun, chacune a sa Terre promise quelque part, il faut y croire.
Et de quel crime t’accuses-tu, toi, dans le tréfonds de ton silence ?
Tu es la seule personne à le savoir. Tu es là, le rideau baissé sur la scène de tes yeux. Ta peau d’encre noire a perdu sa glaçure et la grisaille a délustré ta chevelure. Tu as pleuré dans les ravines de tes joues. Tu t’es vidée. Ta vaste poitrine, amalgamée aux chairs lasses, se soulève imperceptiblement. Tu respires.
C’est tout.
Du moins, en apparence.
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