Citations sur Les muses (43)
Edward Fosca était un meurtrier.
C’était un fait.Pour Mariana il ne s’agissait pas d’une simple conviction intellectuelle, d’une vue de l’esprit. Son corps le savait. Elle le sentait au fond d’elle-même, dans ses veines, dans chacune de ses cellules.
Edward Fosca était coupable.
Ce qui m'oppose à tant de courants de la psychanalyse c'est leur présupposé que la souffrance est une erreur,
un signe de faiblesse ou même un signe de maladie. Alors qu'en fait, les plus grandes vérités que nous connaissons proviennent probablement de la souffrance des gens.
Et quand la thérapie fonctionnait bien, une sorte de miracle se produisait à l’intérieur de ce cercle : la naissance d’une entité à part entière ‒ un esprit de groupe, une pensée collective ‒, un « grand esprit » comme on le nommait souvent, qui allait au-delà de la somme de ses parties ; plus intelligent que le thérapeute ou que chacun des participants pris individuellement. Il était sage, curatif et contenant. Mariana avait observé ce pouvoir à de nombreuses reprises. Dans son salon, au fil des ans, de nombreux fantômes avaient surgi et avaient été neutralisés dans ce cercle.
On observait chez lui une agressivité latente, une rage écumante, souvent difficiles à contenir.
Mais Mariana n’abandonnait pas facilement ; tant qu’elle gardait le contrôle des séances, elle était bien décidée à travailler avec Henry. Elle croyait à ce groupe, à ces huit individus assis ensemble ; elle croyait au cercle, et à son pouvoir de guérison. Dans ses moments les plus fantaisistes, elle pouvait considérer avec un certain mysticisme le pouvoir des cercles : le cercle du soleil, de la lune, de la Terre ; la gravitation des planètes dans l’espace ; la roue ; le dôme d’une église ; une alliance. Platon affirme que l’âme est un cercle, et cela faisait sens pour elle. La vie n’est-elle pas aussi un cercle ? De la naissance à la mort.
« Edward Fosca était un meurtrier.
C’était un fait. Pour Mariana il ne s’agissait pas d’une simple conviction intellectuelle, d’une vue de l’esprit. Son corps le savait. Elle le sentait au fond d’elle-même, dans ses veines, dans chacune de ses cellules.
Edward Fosca était coupable.
Et pourtant, elle ne pouvait pas le prouver, et ne le pourrait peut-être jamais. Cet homme, ce monstre, qui avait tué au moins deux personnes, allait selon toute vraisemblance rester libre.
Il était si suffisant, si sûr de lui. Il croit qu’il s’en est sorti impunément, songeait-elle. Il pensait avoir gagné.
Mais il n’en était rien. Pas encore.
Mariana était résolue à se montrer plus futée que lui. Il le fallait.
Elle passerait la nuit à récapituler tous les événements. Elle resterait assise là, dans cette petite chambre sombre de Cambridge, à réfléchir, et elle trouverait la solution. Elle regarderait fixement le radiateur électrique qui rougeoyait dans l’obscurité, en espérant se plonger dans une sorte de transe.
Elle reprendrait au commencement et se rappellerait tout. Dans les moindres détails.
Et elle l’attraperait. »
« Conte-moi ton premier amour
Les espoirs d’avril, les hasards
Jusqu’à ce que les tombes se mettent à bouger
Et les morts à danser. »
Alfred TENNYSON, The Vision of Sin
9
Zoé décrocha à la première sonnerie.
— Mariana ?
Celle-ci comprit tout de suite que quelque chose n’allait pas. Zoé avait la voix tendue et le ton pressant que Mariana associait aux moments de crise. On dirait qu’elle a peur, se dit-elle. Elle sentit les battements de son cœur s’accélérer.
— Ma chérie est-ce que tout va bien ? Qu’y a-t-il ?
Il y eut un moment de silence avant que Zoé réponde, d’une toute petite voix :
— Allume la télé. Mets les infos.
De profondes croix avaient été taillées dans sa peau à la lame de rasoir, des croix rouge sang, de différentes tailles, qui lui couvraient la poitrine et l’abdomen. Certaines saignaient encore, d’autres étaient croûteuses et il s’en écoulait des perles rouges compactes, comme des larmes figées et sanglantes.
Pendant ses séances, elle s’immisçait le moins possible dans les échanges. Elle intervenait uniquement quand la communication tournait court, quand une interprétation pouvait être utile, ou quand quelque chose se passait mal.
L’ironie qu’il y avait à être finalement devenue thérapeute de groupe ne lui échappait pas. Mais paradoxalement, cette ambivalence par rapport aux autres la servait. En thérapie de groupe, c’est le groupe, et non l’individu, qui est au centre du traitement : être un bon thérapeute de groupe, dans une certaine mesure, consiste à être invisible.
Mariana était douée pour ça.