L’approche de Mariana était assez flexible, peu conventionnelle même.
Le choix de la profession de thérapeute était ironique, et en particulier la spécialisation en thérapie de groupe. Son ambivalence – sa méfiance même – face aux groupes remontait à l’enfance.
Le coup de fil de Zoé, après la séance de groupe du lundi soir ; c’est ainsi que tout avait débuté.
C’est ainsi que le cauchemar avait commencé.
Depuis le décès de Sebastian, elle ne voyait plus monde en couleurs. La vie était pâle, grise et lointaine, au-delà d’un voile, au-delà d’une brume de tristesse.
Quelque chose de beau, de sacré, était mort. Il ne restait plus que les livres qu’il lisait,...
Quel spectacle lamentable que la vie d’un homme réduite à des objets mis au rebut et destinés à des vide-greniers.
Elle était encore amoureuse de lui ; c’était cela le problème. Elle avait beau savoir qu’elle ne le reverrait jamais, elle avait beau savoir qu’il était parti pour de bon, elle l’aimait toujours et elle ne savait pas quoi faire de tout cet amour. Elle en avait tant, et il était si chaotique : il se déversait, se répandait, s’échappait d’elle comme le rembourrage d’une vieille poupée de chiffon dont les coutures se défont.
Si seulement elle avait pu ranger son amour dans un carton comme elle essayait de le faire avec les affaires de Sebastian.
Quelques jours plus tôt, Mariana était chez elle, à Londres.
Agenouillée par terre, au milieu des cartons, elle tentait à nouveau, sans enthousiasme, de trier les objets ayant appartenu à Sebastian.
Ça ne se passait pas bien. Un an après sa mort, la plupart de ses affaires restaient éparpillées dans la maison, dans divers cartons empilés, à moitié vides. Elle semblait incapable d’achever la tâche.
Clarisse avait pris l'habitude de fumer la pipe avec son défunt mari..........................mais l'odeur ne dérangeait pas Mariana. En réalité, ce jour-là, elle se rendit compte à quel point elle lui avait manqué. Les rares fois où elle se trouvait en présence de quelqu'un qui fumait une pipe, elle se sentait aussitôt rassurée, associant la fumée sombre et parfumée qui s'en dégageait à la sagesse, l'expérience et la bonté.
- Les Grecs avaient un terme pour ça, tu sais. Pour cette sorte de colère.
- Vraiment ? fit Mariana, intriguée.
- La mênis. il n'existe pas d'équivalent en anglais. Tu te souviens, l'Illiade commence par : « Chante, déesse, la ménis d'Achille ».
- Ah. Qu'est-ce que ça signifie exactement ?
Clarissa réfléchit un instant.
- Je suppose que la plus proche traduction serait colère incontrôlable, fureur terrible. Déchaînement.
L'amour est inconditionnel. On n'est pas censé avoir besoin de faire des efforts pour satisfaire quelqu'un. Surtout si c'est pour échouer systématiquement.