Extrait de l'introduction
OMBRES ET LUMIÈRES
Bien sûr, il y a le portrait en buste de Clouet, la charge de Marignan et le désastre de Pavie. Il y a aussi Léonard de Vinci et puis il y a Chambord. Pour autant, François Ier est un souverain méconnu ; c'est-à-dire qu'on le connaît peu et qu'on le connaît mal. Il n'a pas d'image forte : ce n'est pas un roi de fer - ou de marbre - à la manière d'un Philippe de Bel, un saint comme Louis IX, ou un soleil comme Louis XIV. Il n'est pas non plus de ces princes invisibles comme l'histoire de France en compte tant. Pourtant, son image est floue et se dérobe dès que l'on essaie d'ajuster son regard au-delà des images d'Épinal. Ainsi Apollinaire qui, dans l'un de ses Poèmes à Lou, se lamente : «Je perds tout sauf l'honneur ainsi qu'à Marignan», fusionnant le plus glorieux épisode du règne avec sa page la plus noire telle qu'elle est résumée traditionnellement par la formule apocryphe «Tout est perdu fors l'honneur.» Cette confusion d'Apollinaire, volontaire ou non, est symbolique des brouillards qui entourent le règne et le personnage de François Ier. Comme le poète, il semble que personne ne parvienne à s'y retrouver et ne sache quel parti adopter lorsqu'il évoque François Ier. Cela s'explique en partie sans doute par l'existence, aux côtés des panégyriques du roi mécène et chevalier, d'une légende noire qui s'articule autour de quelques épisodes et de quelques grandes accusations. L'un de ses principaux artisans en est Jules Michelet, que l'on panache à l'occasion avec d'autres contempteurs du monarque comme Voltaire et même, à sa manière, Victor Hugo. La charge la plus violente est celle du philosophe :
Je n'aime guère François Ier [...] Je ne vois guère [en lui] que des actions ou injustes, ou honteuses, ou folles.
L'attaque de Michelet, développée dans Renaissance et Réforme. Histoire de France au XVIe siècle, peut être résumée en une phrase : «Les femmes, la guerre - la guerre pour plaire aux femmes.» Un peu dans la même veine, si Hugo reconnaît en passant la valeur du guerrier («un gagneur de bataille/Dont le pas ébranlait les bases des murailles»), il propose l'image d'un souverain avant tout débauché. C'est encore, en plus mesuré, ce que l'on retrouve chez l'historien Lucien Febvre qui voit en lui un «monarque fertile en caprices».
Si l'on développe l'ensemble de l'argumentaire, la légende noire peut se résumer de la façon suivante : François Ier n'a pas gagné la bataille de Marignan, mais il a perdu celle de Pavie, les deux affrontements étant le symptôme d'une obsession italienne et guerrière dénuée de bon sens. De plus, le roi a été dans toute la première moitié de son règne un automate entre les mains de sa mère Louise de Savoie, une intrigante violente et rusée, avant d'être un amant soumis à une ambitieuse et inconséquente maîtresse, la duchesse d'Étampes. Une fois n'est pas coutume, une femme bénéficie, dans cette légende noire, d'une image positive : la soeur du roi, Marguerite de Navarre, incarnation de l'esprit nouveau. Cette place lui revient peut-être parce qu'elle permet, par ricochet, d'attaquer François Ier qui n'aurait pas son envergure et qui aurait été de surcroît, un mauvais frère. Avant de céder à la réaction, il aurait ainsi, sous son influence, hésité entre le catholicisme (incarnation de la tradition pour Michelet) et la Réforme luthérienne (comprise comme une tentative avortée d'émancipation de l'esprit humain). Cette trinité féminine (mère, soeur, maîtresse), par quelque bout qu'on la prenne, ternit l'image du roi. Et la charge ne s'arrête pas là. François Ier aurait également raté le Canada ; il aurait allumé les bûchers d'hérétiques qui feraient de lui le grand-père de la Saint-Barthélemy. Le seul secteur dans lequel il semble trouver grâce aux yeux de tous est celui des châteaux : Chambord et Fontainebleau compensent bien quelques zones d'ombre pour les plus indulgents.
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