Ambitieux
Différent
Nouveau
Voilà l'ADN du nouveau roman de
Bernard Minier, résumé en trois mots. Sauf que cet ADN n'est pas fait que de chair et de sang, mais aussi (beaucoup) de data. Des 0 et des 1 qui forment notre présent et forgent notre avenir.
L'âme de Martin Servaz, son commandant de police fétiche, a été stockée un temps afin de laisser de la mémoire disponible pour une histoire 100 % nouvelle et inédite.
Bernard Minier aime les challenges et ne se répète jamais. Après
Une putain d'histoire, son premier et inoubliable one-shot, le revoici qui joue à se mettre en danger et se positionner au bord de l'abîme de la créativité.
Ce thriller est tout aussi différent qu'ambitieux. Totalement ancré dans ce premier quart du XXIème siècle qui profile un changement majeur : l'avènement de l'IA, l'Intelligence Artificielle.
Ce n'est pas un roman d'anticipation, pas de la science-fiction,
M, le bord de l'abîme nous raconte notre monde actuel, tel qu'il est en train de s'altérer. Davantage de données, moins d'humain. L'écrivain a ingurgité une somme faramineuse d'éléments pour construire une fiction flippante qui décrit la réalité.
Nous ne nous en rendons pas compte, le glissement semblant se faire naturellement, mais l'Intelligence Artificielle prend chaque jour davantage de place dans notre vie, de manière la plus futile comme la plus signifiante.
En dehors de l'intrigue en elle-même, tout est vrai dans ce récit, à en donner le tournis. Tout est habilement utilisé pour nous divertir et nous faire prendre un certain recul sur ce qui se déroule sous nos yeux (et derrière notre dos).
Bernard Minier s'est donc donné les moyens de son ambition, et le résultat surprend. Mais la surprise n'est-elle pas le sel de toute découverte, comme de tout jeu ? La littérature fictionnelle est un jeu, et le roman noir le meilleur des vecteurs pour capturer un instantané de notre monde changeant.
Une numérisation mémorable, quand le résultat est aussi maîtrisé, aussi abouti. Voilà bien le genre de roman qui vous colle à la rétine, à la fois hypnotique et réfléchissant.
Car,
M, le bord de l'abîme est avant tout un formidable thriller, technologique mais aussi profondément humain, avec des personnages bien caractérisés.
Si, au tout départ, j'ai pu légèrement craindre que le concept de tueur puisse ressembler à une pièce rapportée dans le cadre d'un tel sujet, cela a été très vite balayé par la capacité de
Bernard Minier à construire une habile et surprenante intrigue.
Et puis, il y a l'environnement. Hong Kong, ville exotique et fort mal connue de nous, européens. La ville est un personnage à part entière, et l'auteur prouve à chaque page que la réalité y a déjà dépassé la fiction. Sa description a le goût du réel, loin d'une version en carton-pâte, l'auteur ayant débuté l'écriture de ce septième roman sur place. En lisant ce récit, vous aurez les couleurs, les sons et les odeurs de Hong Kong ; le voyage est sacrément dépaysant (et déstabilisant).
M, le bord de l'abîme, ou la barre de défilement du monde informatisé qui est le nôtre, là où tout est répertorié, et où la singularité se gomme peu à peu.
Bernard Minier défragmente notre société, sans aucun bug, de quoi laisser ce formidable thriller en mémoire. Souriez, vous êtes fichés, vous n'avez plus le mot de passe de votre vie.
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