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sur 1200 notes
L'équilibre du monde nous emmène au coeur de l'Inde des années cinquante, secouée par de violents conflits internes : système de castes toujours présent dans de nombreuses régions, mouvements séparatistes, affrontements entre hindous et musulmans, mise en place de l'état d'urgence.

Au milieu de ce tourbillon, quatre personnages vont bon gré mal gré devoir vivre ensemble pour garder quelques lambeaux de dignité : Dina Dalal, destinée à des études de médecine jusqu'à la mort de son père, et la prise en charge de la famille par son frère, qui la destine à un rôle d'esclave domestique, ou à devenir rapidement l'épouse d'un de ses amis. Elle parvient tout de même à conserver son indépendance, au prix d'un travail acharné ; Maneck, qui vient des montagnes, et a été envoyé à l'université par ses parents, inquiets par la soudaine modernisation de tout le pays, et qui ont bien du mal à s'adapter aux nouvelles règles du jeu ; Et enfin Ishvar et Omprakash, les deux personnages les plus poignants du récit. le père d'Ishvar fait partie de la classe des Intouchables, destiné à travailler le cuir, et a l'interdiction formelle de toucher à quoi que ce soit des plus hautes classes, sous peine de le souiller définitivement. Après une énième injustice, il décide de faire l'inconcevable : ses fils ne travailleront pas le cuir, mais seront tailleurs. Cette transgression aux lois ancestrales lui coûtera toutefois très cher.

Avec l'instauration de l'état de l'état d'urgence, les choses se compliquent encore pour le quatuor. La police a désormais le pouvoir d'arrêter n'importe qui sans procès, et se vend dès lors au plus offrant. Les rafles dans la rue se font de plus en plus nombreuses : pour former des assemblées importantes lors des discours du Premier ministre, pour s'approvisionner en main-d'oeuvre bon marché ou pour des campagnes de stérilisation forcée.

Le récit est dur : si les quatre héros parviennent de temps à autre à être heureux, on sent bien que ce bonheur est précaire, et qu'ils peuvent se retrouver à la rue sans ressource en un rien de temps. Pire encore, il n'y a pas vraiment d'échappatoire : à l'encontre de tout ce qu'on ressent d'habitude quand les héros de roman sont oppressés, on a envie ici qu'ils plient encore plus l'échine, plus vite, sans discuter, pour s'éviter des ennuis futurs.
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En 1975, en Inde, dans un train, se trouvent trois personnages, Ishvar Darji, tailleur, Omprakash Darji, dit Om, tailleur lui aussi, son neveu, et Maneck Kohlah, un jeune étudiant. Une accélération impromptue du train provoque une chute des livres que transporte Maneck sur Om ; les trois personnages font ainsi connaissance. Ils se rendent compte qu'ils vont exactement au même endroit, chez Mrs Dina Dalal. Les tailleurs vont y travailler car elle vient de créer une petite entreprise de couture, tandis que Maneck sera un hôte payant. En effet, Dina, malgré un frère riche et prospère, manque d'argent et veut conserver son indépendance. Ensuite, on va remonter le temps dans les premières années de l'indépendance de l'Inde, à la fin des années quarante et au début des années cinquante, pour observer les jeunes années de Dina en ville ainsi que celles d'Ishvar, dans un village pauvre à l'écart des métropoles. ● C'est une fresque fascinante, très romanesque et aussi très réaliste, qui porte à la fois sur un pays et sur trois familles : les Darji, les Schroff-Dalal et les Kohlah. On y voit combien le système des castes, au moins dans les campagnes, autorisait tous les abus de pouvoir des hautes castes, sous prétexte de l'« équilibre du monde » : une place pour chacun et chacun à sa place. ● Mais « l'équilibre » du titre reçoit d'autres définitions dans le roman, comme : « ‘ Il faut parfois utiliser ses échecs comme marchepieds vers le succès. Maintenir un bon équilibre entre l'espoir et le désespoir. ' Il s'arrêta, considérant ce qu'il venait de dire. ‘ Oui, répéta-t-il. Au bout du compte, tout est une question d'équilibre.' » ● On se rend compte aussi de l'autoritarisme du régime indien sous le gouvernement d'Indira Gandhi (dont j'avais pourtant une image plutôt positive), et tout spécialement sous l'état d'urgence et le « MSI » (Maintien de la Sécurité Intérieure) des années 1975-1977, qu'elle décréta pour être en mesure de conserver le pouvoir. Cet état d'urgence a autorisé tous les abus, toutes les corruptions, toutes les violences. ● La première ministre est ridiculisée dans les meetings qu'elle tient en forçant des milliers de pauvres hères à y assister pour faire nombre. ● le roman montre avec brio la vie des « gens ordinaires » broyée à la fois par les hautes castes et par le gouvernement, la police et tous leurs affidés. C'est ainsi par exemple que sous prétexte de limiter la population, des stérilisations forcées furent réalisées à grande échelle, ou encore, sous prétexte de l'embellissement des villes, on démolit les bidonvilles à tour de bras et sans préavis, jetant leurs habitants dans la rue du jour au lendemain. « Tu ne comprends donc pas ? Pour eux, nous sommes moins que des animaux. » ● Une ironie féroce est parfois utilisée par l'auteur : « Certaines blessures sont si banales que ça ne marche plus. Par exemple, arracher les yeux d'un bébé ne rapporte plus automatiquement d'argent. Des mendiants aveugles, il y en a partout. Mais aveugle, avec les orbites vides, des trous à la place des yeux et un nez coupé – pour ça, n'importe qui paye. Les maladies aussi, c'est pas mal. Une grosse tumeur sur le cou ou la figure, d'où suinte du pus jaune, ça marche très bien. » ● J'ai appris beaucoup de choses que j'ignorais sur cette période dans ce pays. Mais le livre n'est pas didactique, c'est un vrai roman, d'une ampleur et d'une flamboyance magnifiques. On ne voit pas passer les 880 pages, on ne s'ennuie pas une seconde, car l'auteur est un conteur hors pair. Il donne d'ailleurs une sorte de définition du récit : « Veillait-il à agencer les événements spécialement pour elle ? [Maneck raconte sa vie à sa mère.] Peut-être pas – peut-être que le fait même de raconter créait un dessin naturel. Peut-être les êtres humains possédaient-ils ce don de mettre de l'ordre dans leurs existences désordonnées. » ● Les personnages, fort bien décrits, complexes, riches, sont extrêmement attachants, y compris les personnages secondaires, comme le mendiant Shankar, le Maître des mendiants, Ibrahim le collecteur de loyers ou encore les parents de Maneck. ● C'est aussi une réflexion sur la précarité de la vie, sur l'impossibilité du bonheur qui pourtant n'empêche pas de rester au moins fataliste dans l'adversité. « La vie ne garantit pas le bonheur. […] Tout finit mal. C'est la loi de l'univers. […] En ce qui concerne les êtres humains, les seuls sentiments valables qu'ils puissent nous inspirer sont l'étonnement, pour leur capacité à supporter l'adversité, et la tristesse, car ils n'ont rien à espérer. » Car Dieu nous a abandonnés : « Maintenant je préfère croire que Dieu est un géant qui fabriquait un patchwork. Avec une infinité de motifs. Et le patchwork a tellement grandi qu'on ne peut plus discerner le modèle ; les carrés, les rectangles et les triangles ne s'emboîtent plus les uns dans les autres, tout ça n'a plus de sens. Alors Il a abandonné. » ● de plus, cet ouvrage est particulièrement bien traduit. ● Je remercie l'ami babeliote @traversay qui m'a recommandé ce livre superbe, qu'à mon tour je recommande vivement.
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En Inde, dans les années cinquante. Dina est une jeune fille indépendante. Avant son mariage, de courte durée, puis pendant son veuvage : "si elle désapprenait à vivre seule, un jour elle le paierait cher". Pour survivre, elle emploie deux tailleurs Om et Ishram. Et loge Maneck, le fils d'une amie, étudiant. Om et Ishram, issus de la caste des cordonniers ont échappé à cette destinée par la volonté du père d'Ishram, refusant d'offrir à ses fils cette vie de misère et d'humiliation . Ishram s'en sort mais son frère payera de sa vie son insistance pour faire appliquer la loi qui l'autorise à voter. de sa vie et de celle de toute de famille, à l'exception de son fils Om alors absent. Oncle et neveu tentent leur chance dans une grande ville. Et sont embauchés chez Dina. Les conditions de vie des deux hommes sont épouvantables, et le malheur les poursuit sans relâche. Cependant des liens vont se tisser dans la petite communauté hébergée par Dina, renforcés par les difficultés qu'elle même rencontre pour survivre.

Plongé en plein coeur de cette survie quotidienne des miséreux, alors l'abolition du système des castes n'existe que dans les textes des lois, le lecteur est happé par l'exposé réaliste des absurdités de cette société. Totalement enchaînés par des coutumes ancestrales, peu ont la volonté et la lucidité de se révolter pour s'en sortir, d'où le risque de simplement de faire éliminer. le maintien des profondes inégalités n'est pas uniquement le fait des privilégiés : on le ressent dans le roman dans les attitudes de soumission des deux tailleurs qui sont sensées être celle de leur caste.

L'exposé des conditions de vie des mendiants, dont la perte d'autonomie les font entrer dans un système pourri de protection payante est odieux. À l'époque où se déroule les faits, le gouvernement a de plus lancé une grande entreprise d'"embellissement" de la ville, c'est à dire de destruction des bidonvilles et de réquisitions de sans abris pour des travaux forcés inhumains. Et c'est la tout le problème, la valeur de la vie humaine semble être extrêmement aléatoire, et marchandable pour le profit de quelques-uns.

Magnifique récit témoignant des conditions de vie aberrantes dans ce pays à la dérive, pour lequel on se demande par quel miracle ou quel drame les choses pourraient changer
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Une fresque de l'Inde des années 1970, vue à travers le peuple.
Quelques personnages dont on suit les heurts et malheurs : Dina, jeune femme qui aurait dû avoir un avenir souriant mais que la mort de son père puis de son mari obligé à gagner sa vie comme elle peut. Les tailleurs Ishvar et Om qui travaillent pour elle. L'étudiant Maneck qui ne supporte plus sa résidence universitaire et s'installe chez elle comme hôte payant, le mendiant Shankar…. Et bien d'autres qui gravitent autour de ceux ci. Certaines des parties sont consacrées à l'histoire d'un personnage.

Le quotidien est souvent sordide, outre la faim jamais très loin, il y a la saleté, les vers, les cafards, la distribution d'eau intermittente. Également les relations entre les castes et particulièrement envers les intouchables totalement à la merci de la méchanceté des classes supérieures qui considèrent avoir droit de vie et de mort sur eux. Mendiants ramassés dans la rue et emmenés loin pour travailler contre un logement inconfortable et une maigre pitance.L'administration bien sûr corrompue qui échange droits contre stérilisation ou fait pire encore...

Et au dessus de tout cela la figure du premier ministre, jamais désignée nommément, Indira Gandhi. Il me semble qu'elle bénéficie en Occident d'une image assez positive , mais ce n'est pas le cas sous la plume de Rohinton Mistry. Légèrement ridicule, autoritaire, elle se déplace dans les campagnes pour prononcer de longs discours sur ses efforts en faveur des plus pauvres mais ses meetings ne déplacent les foules que parce que des rabatteurs viennent dans les bidonvilles promettre nourriture et argent à ceux qui montent dans les bus. Promesse même pas correctement tenue. Culte de la personnalité digne d'autres pays considérés comme dictatures, tricherie dans les élections, état d'urgence, Indira Gandhi à bien perdu de sa valeur à mes yeux.

On est souvent entre le rire jaune et les larmes comme dans cette scène ou un homme possédant deux singes qu'il nourrit comme il peut et un chien qui doit se débrouiller seul retrouve après avoir été embarqué pour un meeting, lesdits singes dévorés par le malheureux chien qu'il essaie alors s'étrangler.

Je conseille chaleureusement ce roman dans lequel on ne s'ennuie pas un instant malgré ses 882 pages. Et si vous connaissez un livre équivalent sur l'Inde de ces trente, quarante dernières années parmi les plus pauvres, je suis preneuse. Déjà il y a les deux autres titres de Mistry Un si long voyage et surtout Une simple affaire de famille que je retiens, mais ils concernent les classes intermédiaires.
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Ecrivain à succès dont j'ignorais jusqu'alors l'existence, Rohinton Mistry est un auteur canadien, originaire de l'Inde, qui mérite toute mon attention. C'est en me “promenant” dans une librairie, que j'ai découvert, par hasard, le romancier. La première de couverture de son troisième roman, l'Equilibre du monde (1996), édité en Livre de poche, a suscité toute ma curiosité.

La couverture est pleine de couleurs. du jaune, du vert, du rouge… des couleurs vives. Mes pupilles sont exaltées. La rue est peuplée de monde, tous s'affairent à leurs activités. Je devine l'Inde grâce aux saris portés par deux femmes. Par une telle présentation, j'imagine une histoire aussi colorée et vivante que la première de couverture et me dis qu'en ces temps festifs (le soleil, l'été, les vacances) il me plairait bien de lire un roman de ce type. Ce qui, par la même occasion, me permettrait peut être de découvrir l'Inde et de m' aventurer vers d'autres horizons.

A la lecture du roman, je me rends compte finalement que mes sens m'ont trompée. Disons que la première de couverture m'a trompée. L'auteur écrit à l'encre noir, pas en rouge, jaune ou vert. Il déverse sur le papier pauvreté, misère, corruption, violence… autant de tâches qui noircissent la page blanche, autant de tâches qui noircissent la vie, si tant est que la vie soit aussi blanche qu'une page.

Au travers de ces quatres personnages principaux- Mme Dina Dalal, Ishvar et son neveu Omprakash et enfin Maneck- et d'autres protagonistes, l'auteur nous raconte l'Inde aux cours des années 70-80. le système de caste qui perdure encore dans les villages, les crises politiques, la corruption, la violence entre communauté religieuse, la misère et la pauvreté qui sévissent alors que l'état d'urgence est décrété par Madame le Premier ministre, accusée de malhonneteté lors des dernières élections. Au prétexte de prétendus troubles intérieurs qui risqueraient de mettre à mal la sécurité du pays- c'est pour se maintenir au pouvoir en réalité- Madame le Premier ministre applique le MSI, décret sur le maintien de la sécurité intérieure. Ce décret installe le pays dans le chaos le plus totale.

Et comme souvent, ce sont les plus pauvres que choisit le chaos. Alors que les plus riches se satisfont de la politique gouvernementale et de l'état d'urgence, parlant d' “ordre” et de “sécurité”, désignant les salariés et les SDF de “bandes de paresseux”, les plus pauvres sont livrés à eux mêmes et tentent de survivre dans cette jungle immense qu'est devenue l'Inde. Les syndicats, les mouvements d'oppositions sont interdits. La liberté de la presse condamnée. le chômage explose. La famine accompagne. L'exploitation est de rigueur. La corruption, tel un cancer, se propage à tous les niveaux. La société est malade, profondément. Les plus pauvres sont dans la boue. Dans cette jungle, aucune branche à laquelle ils pourraient s'attacher pour fleurir. Toutes sont pourries. La Justice et l'Etat les ont abandonné… abandonnés à leur sort, le hasard, le destin disent les protagonistes alors que leur vie sont dessinées, en réalité, par un coup de crayon volontaire.

Ainsi, dans ce désordre le plus complet, le Premier ministre décide, au nom de la politique d'embellissement de la ville, de raser les bidonvilles sans se soucier de sort de ces pauvres habitants et citoyens qui déjà s'appauvrissent et subissent les changements d'ordres économiques. Et cas plus absurde, pour faire face à la surpopulation de l'Inde, elle décrète une politique de stérilisation massive dont les pauvres, comme d'habitude, sont les principales victimes. de nouveaux fonctionnaires émergent: les incitateurs, chargés de convaincre les citoyens des bienfaits de la stérilisation. Mais la population étant réticente et les fonctionnaires devant remplir leurs quotas, les dérives et catastrophes humaines apparaissent très rapidement. Très vite, l'Homme ne devient qu'une marchandise, on le vend, le mutile. On l'utilise pour remplir le quotas, pour gagner sa vie, pour avoir de quoi manger, pour survivre. Très vite l'Homme est réduit à bien peu de chose et se voit sacrifié pour des ambitions personnelles. D'humanité, il n'y en a plus et on n'y croit plus… Toute est sombre, noire, vide, sans espoir.

Mais à cette noirceur, nos quatres personnages, si attachants, apportent un peu de couleurs vives. Par le jeu du hasard (si l'on croit au hasard), leurs chemins se rencontrent et se tissent entre eux une réelle amitié. La maison de Dina Delal, où ils habiteront tous, illumine de bonheur, de sourires, de rires au milieux de tracas et du chaos qui, dehors, assombrit tout sur son passage. L'humanité, par la solidarité et l'amour, brille de plus belle. Mais la lumière, bien qu'intense, n'est que temporaire… le chaos les conduisant en effet vite à l'ombre.
Où est l'équilibre dans ce monde? Y'en a-t-il d'équilibre? Si il y en a, celui là n'est-il pas fragile? Il a suffit d'une loi, d'un décret pour plonger l'Inde dans le chaos et la violence. Il suffit de bien peu pour que la lumière vire à l'ombre. Un coup de main sur la lampe, un léger vent, un petit changement… et le cours de nos vies se voit modifié. Comment faire pour revenir à la lumière? Comment faire pour équilibrer le monde si celui-ci se penche plus sur un côté que l'autre? L'espoir dans le désespoir semble nous expliquer l'auteur. L'amour dans la haine. La douceur dans l'horreur. La paix dans la violence. La joie dans la tristesse…

L'équilibre du monde est un roman dense, riche, émouvant et drôle quelques fois. Les personnages sont si touchants que l'on s'y attache au point de ne leur souhaiter aucun malheur. Et pourtant… Et pourtant, c'est avec tristesse que nous avons à les quitter à la dernière page. L'équilibre du monde est un de ces romans que je conseillerais au plus grand nombre….
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A quoi donc renvoie le titre de ce roman de Rohinton Mistry ? L'équilibre du monde (A fine balance pour le titre original) tel que nous le présente l'auteur, fait référence à la culture hindoue où le système immémorial des castes prime sur toute la société. En Inde où le destin de chaque personne est lié à son karma (कर्म), l'on nait brahmane ou intouchable et il faut l'accepter...

L'histoire se passe entre les années 1970 et 1980. Alors que l'Inde est la proie de tensions entre mouvement centraliste et mouvement séparatiste, l'état d'urgence est proclamé par Indira Gandhi alors premier ministre (1971-1977). Les libertés publiques sont suspendues car la situation économique est désastreuse. Corruption et injustice règnent. de nouvelles vocations se créent : facilitateur, contrôleur des bidonvilles (jodhpadpattis : झोपड़पट्टी), incitateur... Derrière ces noms de métiers se cachent des missions aussi affreuses les unes que les autres. Les gens subissent de force des vasectomies (nussbandhi : शुक्रवाहिकोच्छेदन) dans les planning familiaux destinés à contrôler les naissances ou arrêtés et tabassés de façon arbitraire. Des programmes d'embellissement de la ville imposent la destruction intempestive des taudis. Dans le dédale de la grande ville indienne (Bombay ou Mumbai) où les bidonvilles sont légion, la protection du Maître des mendiants est considérée comme une véritable bénédiction...


C'est dans ce climat politique et économique difficile qu'évoluent les protagonistes de l'histoire. Issus de classes sociales différentes, Ishvar, Om, Maneck et Dina (pour les principaux personnages) n'auraient jamais dû se rencontrer et pourtant : leurs destins irrémédiablement liés, les mènera à une cohabitation des plus improbables. Pour l'oncle et son neveu (Ishvar et Om sont originellement intouchables) qui viennent travailler comme couturiers chez Dina Dalal (parsi), le séjour en ville est censé être temporaire. de même pour Maneck (parsi) qui vient étudier en ville et qui loge chez Dina pendant son année d'études. Dénominateur commun entre les couturiers et l'étudiant, Dina est elle-même une femme meurtrie par son histoire. le patchwork qu'elle confectionne à partir de petits bouts de tissus tout au long du récit raconte leurs destins croisés. Comme si l'auteur voulait montrer que L'équilibre du monde ne tenait qu'à des bouts de tissus disparates rassemblés selon des codes incompréhensibles...

Fidèle à ma relative connaissance de l'Inde contemporaine, ce récit qui montre un envers du décor des plus réalistes, m'a bouleversée, émue, révoltée : l'hindhouisme, cette tradition ancienne fondée sur des concepts philosophiques, imprègne l'écriture de Rohinton Mistry. L'on découvre tout au long du roman des détails surprenants de la vie quotidienne des indiens et l'on ose y croire : c'est pourtant une réalité que l'auteur s'est donné pour mission de retranscrire dans L'équilibre du monde. Plus qu'un roman, ce livre est un poignant témoignage de l'histoire de l'Inde. Et l'on suppose une fin tragique mais l'on ne se résoud pas à renfermer le livre avant de l'avoir terminé. Si c'est un gros pavé de 890 p., pour ceux qui s'intéressent à cette partie du monde, je ne peux que le recommander. Il est passionnant.
Lien : http://livresacentalheure-al..
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Enfin un roman sur l'Inde moderne écrit par un enfant du pays, et non un Occidental. L'équilibre du monde, c'est une fresque sur ce pays fascinant et pourtant si mal connu qui se déroule dans les années 1970-1980.

C'est réaliste, cru et terriblement humain. On est très loin des images d'Epinal des hippies baba-cool, des ashrams de yoga pour cinquantenaires cherchant à renforcer leur énergie vitale, ou encore des touristes amateurs d'acrobaties sexuelles tirées du Kamasutra.

Non ici on pénètre en plein coeur de l'Inde, avec ses paradoxes de modernité dans l'une des civilisations les plus vieilles au monde, son féodalisme dans les campagnes, sa corruption omniprésente, sa gestion très contestable de la pauvreté et de la surpopulation, ses émeutes raciales, ses fondamentalistes hindous, ses mafias de mendiants, …

Et toujours, toujours cet incroyable optimisme, en dépit de tout. L'Inde ce pays dont la devise pourrait être « Tout s'effondre et se reconstruit, joyeux est celui qui reconstruit » (Yeats).
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Avec "L'équilibre du monde" se pose la question épineuse suivante : peut-on apprécier un roman qui vous donne la nausée ?

Cette fresque chronologique de presque mille pages décrit une Inde des années 60 à 80 si violente, si noire, si terrifiante et si nauséabonde que plusieurs chapitres sont tout simplement insoutenables d'inhumanité. Et le fait d'être ici dans la chronique plus que dans la fiction n'arrange rien au malaise, tout comme la pensée que le portrait de cette Inde n'est sans doute hélas pas si éloigné de celui de l'Inde actuelle.

Rohinton Mistry est un maître-conteur. Né à Bombay, il connaît son sujet à fond et bien qu'ayant émigré au Canada et y vivant depuis de longues années, il explore ses racines et maîtrise les différents aspects de la culture indienne, cette nation-continent aux multiples identités.

Alors, pour revenir à mon interrogation première, oui, on peut apprécier un récit même s'il donne mal au coeur et à l'estomac. Déjà par la qualité littéraire de son traitement : style, rythme, personnages, recherches, lexique... Ensuite par l'éclairage cru et brutal mais vrai qu'il nous donne sur une période, un peuple, une culture qui nous sont peu familiers. Pour aussi pénibles que soient les sujets abordés à travers les existences de Dina, jeune veuve, de Maneck, étudiant, d'Ishvar et d'Omprakash, tailleurs issus de la caste Intouchable, et de Shankar, cul-de-jatte exploité comme mendiant, il est fondamental d'en prendre connaissance et de regarder la réalité en face, même au prix d'un écoeurement et d'un désespoir infinis.

Enfin, impossible de ne pas penser à "La tresse" de Laëtitia Colombani en lisant ce roman puisqu'il y est beaucoup question du trafic de cheveux mais comme ce modeste et récent best-seller semble bien fade et creux en comparaison du riche et coloré "Equilibre du monde" ! L'Inde est un sujet si dense qu'il mérite bien qu'on l'approfondisse, quelles que soient la souffrance et l'absurdité qui résultent de cette étude. Rester à la surface des choses équivaudrait à gravir seulement la partie émergée de ce brûlant iceberg.


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Om, le jeune tailleur impulsif, Ishvar, son oncle plus modéré et résigné (pas toujours cependant), Maneck, l'étudiant suicidaire et Dina, la veuve esseulée me hanteront longtemps, je pense.
Voilà quelques uns des personnages de ce roman-fleuve sur l'Inde de 1975 à 1985, mais j'ai bien peur que la situation n'ait guère évolué depuis - ou peut-être si, mais en pire.
D'autres êtres, à l'influence souvent néfaste, parsèment aussi ce roman. Mais eux, ces malheureux, en sont les principaux protagonistes.
Accrochez-vous et sortez vos mouchoirs mais ce livre n'est, me semble-t-il, que le reflet de la réalité, dans un pays dominé par des archaïsmes et un système de castes qui s'avère très difficile à abolir (je viens de lire - merci wikipedia - que la constitution indienne a seulement interdit toute discrimination, de quelque ordre qu'elle soit).
Toujours est-il que je recommande vivement ce roman si complet à toutes celles et ceux qui souhaitent en connaître un peu plus sur cet immense pays.
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Pépite ! L'auteur, que je découvre, relate les destins de quatre personnes qui vont s'unir et tenter de vivre au mieux dans un pays où le gouvernement maltraite, torture ses citoyens au nom de faux prétextes économiques et politiques. Un livre d'une dureté implacable pour illustrer des faits réels qui se sont déroulés en Inde et sous le gouvernement d'Indira Gandhi. Malgré l'aspect horrifique, j'ai été touchée, émue par ces quatre destins voués au malheur et qui luttent sans cesse pour un semblant de vie. Un livre qui m'a marqué.
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