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EAN : 9791091328791
256 pages
Gope éditions (02/12/2021)
5/5   1 notes
Résumé :
Luk thung
La musique la plus populaire de Thaïlande

Depuis les années soixante, un genre populaire de musique hybride appelé luk thung incarne les aspirations, les frustrations et les malheurs de la classe ouvrière thaïlandaise. Pourtant, le monde universitaire a tardé à lever le voile sur ce genre des plus importants. Dans ce livre novateur, l’ethnomusicologue James Mitchell retrace l’histoire du luk thung, expose ses influences et caractérist... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Article de Édouard Degay Delpeuch paru dans "Volume ! La revue des musiques populaires"

En plus d'un demi-siècle, le luk thung, littéralement la chanson des « enfants des champs », accompagne l'histoire de la société thaïlandaise. Ce genre musical émerge au milieu du xxe siècle au croisement d'influences venues de l'étranger et de différentes traditions régionales de Thaïlande. Dans les années 1950, le luk thung accompagne les populations migrantes qui partent travailler à Bangkok sous le coup de l'important exode rural que connaît le pays. Il évoque ensuite les transformations politiques, économiques et culturelles profondes que le Royaume a connu, porté par la plus forte croissante mondiale du milieu des années 1980 au milieu des années 1990 et de l'importante crise qui l'a frappé par la suite. Mais a-t-on jamais vraiment entendu parler de « luk thung » en dehors de la Thaïlande ?

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Luk thung, la musique la plus populaire de Thaïlande a d'abord été publié, en 2015, aux éditions th (...)

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Malgré les plus de soixante-dix ans d'existence de ce genre musical, son importance incontestable pour la compréhension de la vie culturelle, politique et sociale de l'une des premières puissances de la région sud-est asiatique, Luk thung, la musique la plus populaire de Thaïlande est la première monographie critique en langue anglaise à lui être consacrée1. Proposer une synthèse du luk thung n'est toutefois pas une tâche aisée : le genre associe traditions musicales des régions Nord et du Sud, de Thaïlande et de l'étranger, et connaît aujourd'hui des récupérations multiples au-delà de sa base rurale historique. le parti pris de l'auteur est donc de raconter le luk thung par le lien intime qui l'attache à une population en particulier : les Issanes, habitants de la région nord-est du pays (la région Isan), à majorité culturellement lao et dont la population, plus de vingt millions de personnes, représente à peu près un tiers des habitants du Royaume. Pour ce faire, l'approche qu'adopte James L. Mitchell, ethnomusicologue diplômé de l'Université Macquarie en Australie, ancien professeur assistant à l'Université de Khon Kaen en Thaïlande et auteur de multiples articles sur le luk thung, est d'abord historiographique. Dans un premier chapitre, il retrace l'origine du genre, au tournant du xxe siècle, à l'intersection des influences de l'Occident, des traditions musicales et dramatiques de la cour des rois du Siam et des différentes traditions régionales du royaume. Il s'agit alors de montrer comment le luk thung apparaît à un moment clé de la construction nationale thaïlandaise comme une musique « thai sakon » (« thaïe universelle » ou « thaïe internationale »), c'est-à-dire comme une musique qui associe influences extérieures et éléments de la nation thaïlandaise, modernité et tradition régionale. du milieu du xxe siècle, moment où émerge le luk thung, à nos jours, James Mitchell montre comment ce genre s'est peu à peu imposé comme un référent essentiel de l'identité thaïlandaise, notamment après la crise qu'a connu le pays au cours des années 1990. Plus particulièrement il s'agit de comprendre comment le genre a permis à la culture lao d'accéder à une reconnaissance plus générale en Thaïlande, ce malgré la réticence des populations du centre du Royaume à reconnaître l'influence d'autres cultures sur leur propre culture.

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Déterminer si le luk thung est une musique issane ou « issanaise » davantage qu'une musique dérivée des traditions musicales du centre du pays, s'il s'agit d'une musique « thaïlandaise » ou massivement influencée par l'étranger, forment en Thaïlande des débats sensibles qui traversent l'historiographie du genre. Dans un second chapitre, l'auteur propose donc de passer en revue les différents répertoires musicaux qui ont influencé le luk thung et de démêler la part d'influence qui revient à chacun d'entre eux. Assez généraliste, l'approche devient plus ethnographique dans le troisième chapitre. James Mitchell nous propose d'explorer l'univers du luk thung par le parcours et le regard de l'un de ses acteurs privilégiés, Soraphet Phinyo, chanteur, auteur, compositeur ayant connu un important succès au tournant des années 1980. Plus généralement, le cas de Soraphet permet de détailler les transformations qu'a subi le luk thung au cours des années 1980. Il permet de dégager deux principaux modèles qui caractérisent son fonctionnement : le modèle de transmission organisé autour de la relation maître-élève (khru-luksit) et qui structure la relation des auteurs, compositeurs et paroliers aux interprètes et le modèle économique capitaliste qui émerge au milieu des années 1980, avec le boom économique que connaît alors le pays, et transforme sensiblement l'industrie musicale thaïlandaise en donnant notamment beaucoup plus de pouvoir aux maisons de disque.

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Face aux tensions qui peuvent apparaître entre d'un côté une économie artistique portée par les travailleurs ruraux et de l'autre une industrie musicale à la nature de plus en plus oligopolistique, Mitchell observe dans un quatrième chapitre le rôle essentiel que le public occupe. Ce chapitre permet d'aborder le luk thung depuis la subjectivité de ses auditeurs, de ses fans, de rapporter ce public à d'autres communautés de fans à travers le monde, mais aussi de dégager ce qu'il a de spécifique. Pour cette raison, cette partie constitue peut-être la contribution la plus intéressante de l'ouvrage au champ plus général des popular music studies, susceptible de retenir l'attention des lecteurs n'ayant aucune affinité particulière avec les mondes de la musique thaïlandais.

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Dans le luk thung, les rapports entre les chanteurs, les chanteuses et leurs fans sont notamment organisés suivant des principes de proximité et de solidarité, dont l'auteur nous dit qu'ils reflètent à leur manière l'organisation de la famille et des villages en Isan. Or, en raison de la popularité croissante que connaît le luk thung, l'homogénéité sociale qui caractérisait sa communauté se voit aujourd'hui peu à peu érodée. Les écarts de classes deviennent de plus en plus saillants au sein du public et la sociologie de ses chanteurs et de ses chanteuses, venus de moins en moins des campagnes et de plus en plus des villes, se transforme. Ces mutations suscitent des conflits qui mettent à jour le caractère profondément inégalitaire de la société thaïlandaise contemporaine.

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Dans le dernier chapitre de l'ouvrage, James Mitchell revient sur les luttes politiques qui ont fait l'actualité de la Thaïlande ces dernières années et montre la façon dont le luk thung peut en illustrer les enjeux et devenir l'un de leurs instruments. Plus particulièrement, l'auteur s'attache aux conflits qui depuis le milieu des années 2000 opposent « chemises jaunes » et « chemises rouges » autour de la figure polémique de l'ancien Premier Ministre Thaksin Shinawatra. En raison de sa popularité et du fait de son profond ancrage dans le circuit médiatique thaïlandais, James Mitchell nous montre ainsi que le luk thung est un outil politique de premier plan. Dès son accession au pouvoir, Thaksin mobilise des références qui sont directement puisées dans la culture du genre. de la même façon, certains thèmes comme celui de la séparation de l'être aimé, le thème de la migration, qui forment des archétypes de la chanson luk thung seront mobilisés par les partisans de Thaksin, suite au renversement de son gouvernement. Toutefois, le luk thung n'est pas simplement mobilisé par les soutiens de l'ancien Premier ministre, mais aussi par ses opposants qui trouvent dans le répertoire du genre plusieurs thématiques qui permettent de critiquer et de tourner la figure du leader politique en dérision.

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Luk Thung, la musique la plus populaire de Thaïlande répond au double défi de décrire un genre musical complexe et protéiforme par le prisme de sa relation à un territoire, une population et sa culture, l'Isan, tout en rendant compte, à travers la musique, d'aspects fondamentaux de cette culture et des dynamiques historiques qui caractérisent sa reconnaissance encore aujourd'hui en Thaïlande. Genre extrêmement populaire, le luk thung est donc un vecteur important de la reconnaissance de la culture Isan et, pour cette raison, un canal majeur à travers lequel une partie de la population peut faire entendre sa vision politique. Mais en raison de sa nature commerciale, le luk thung est également instrumentalisé pour véhiculer d'autres messages. Alors qu'en 2014 la Thaïlande connait un douzième coup d'État à l'occasion duquel le processus démocratique se voit de nouveau obstrué (et le demeure encore aujourd'hui), la question de l'existence d'un luk thung politique et de son éventuelle récupération demeure donc toujours d'une brûlante actualité, suggère James Mitchell. Luk Thung, la musique la plus populaire de Thaïlande se veut un ouvrage très complet qui se positionne directement comme un incontournable pour tout chercheur qui s'intéresse à la musique et à la culture populaires thaïlandaises contemporaines. de ce positionnement ambitieux découlent quelques limites. On pourrait ainsi regretter qu'à travers ses 240 pages certaines questions abordées ne trouvent pas une assise ethnographique plus profonde qui permettrait de se figurer plus concrètement les différentes thématiques qui traversent le luk thung du point de vue de ses acteurs (ce, au-delà des études de cas déjà poussées que propose l'ouvrage comme à propos de Soraphet Phinyo et à propos de la communauté des fans). L'ouvrage se lit donc comme un compendium qui gagne à être complété par la lecture d'études plus spécialisées : les développements politiques auxquels finit par aboutir le dernier chapitre pourraient ainsi être lus en complément des remarquables analyses ethnographiques qu'offre par exemple l'ouvrage de Benjamin Tausig, Bangkok is Ringing, à propos de la mobilisation de la musique et du son dans les récents mouvements de protestation (Tausig, 2019).

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Notons par ailleurs que l'on peut s'étonner, pour la présente édition, que les références bibliographiques aient entièrement disparu. Elles formaient l'une des richesses de la première édition en anglais. Si l'on comprend que l'enjeu est peut-être de ne pas alourdir la narration pour des lectrices et des lecteurs qui ne seraient pas universitaires, cette disparition n'aboutit pas moins à certaines bizarreries : les auteurs et les autrices auxquels James Mitchell se réfère sont directement cités dans le texte, souvent par leur prénom comme le veut la norme thaïlandaise, sans qu'il soit possible de clairement les identifier, ni de revenir à l'origine de leur citation.

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Il faut toutefois saluer l'effort salutaire de la maison d'édition Gope pour faire paraître depuis quelques années des oeuvres à propos de la Thaïlande et de l'Asie du Sud-Est dont le public en France n'a généralement pas connaissance. La parution d'une version française de Luk Thung, La musique la plus populaire de Thaïlande était nécessaire et à sa lecture vivement recommandée tant du point de vue de ce que l'ouvrage apporte à la connaissance musicale de la Thaïlande et qu'en ce qu'il permet de découvrir plus généralement un monde médiatique, culturel et politique quasiment inconnus du lectorat francophone.


Lien : https://journals.openedition..
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