Citations sur First (23)
Il avait appris à rester calme en toutes circonstances, à ne pas se laisser dépasser par l’excitation de la chasse, à prendre son temps. C’était la règle, pour éviter de commettre des erreurs, pour ne pas se faire remarquer. Il devait rester un fantôme, et pour ce faire, la clé était de rester dans l’ombre.
Une femme, entièrement nue, était allongée sur le ventre, à même le sable blanc, les jambes légèrement écartées. De profondes lacérations scarifiaient la peau de son dos. Du sang avait coulé le long de ses côtes, pour se répandre autour de son corps telle une auréole écarlate. On ne voyait pas son visage, camouflé par ses longs cheveux blonds étalés à la manière d'un soleil autour de son crâne.
Oui, il avait le sens du détail, c'était indéniable.
Elle connaissait ce sentiment. Elle avait déjà été au bord du précipice autrefois. L’obscurité s’était emparée de son être, prenant chaque jour de l’ampleur, et le pire était que Céleste avait refusé de le voir. Elle avait nié avec ferveur les changements subtils décelés par ses proches. Le maquillage sombre autour de ses yeux. Ce besoin irrépressible de s’en prendre à son corps. Ce corps, le seul coupable qu’elle pouvait atteindre puisqu’elle ne pouvait s’en prendre ni au véritable responsable, ni à son âme meurtrie.
Je suis double, une face pour la lumière, une face pour l’ombre, dans la seconde je me complais, car une fois installée, la noirceur est en nous pour toujours.
C’était important à ses yeux d’avoir un endroit rien qu’à elle. Un véritable foyer. Probablement parce que Céleste avait le sentiment d’avoir perdu le sien. Tout dans sa ville natale lui rappelait son passé. À seize ans, elle avait quitté la Normandie, animée par un seul espoir, tout effacer, tout recommencer.
Une multitude de cahiers y étaient entassés en vrac, les uns sur les autres. Des cahiers comme ceux qu’ont les écoliers, avec une couverture verte, un espace blanc pour marquer son prénom, et une marge délimitée par une ligne bleue. Le plus ancien remontait à une douzaine d’années. C’était le plus précieux à ses yeux. Personne, à part elle, n’en avait jamais lu le contenu.
Elle avait été sensible à la poésie indéniable émanant de la peinture, par la force tranquille dégagée par la déesse, indifférente à sa propre nudité. Un ange sorti des flots. Encore aujourd’hui, la regarder lui procurait une sorte d’apaisement, qu’elle ne parvenait pas à s’expliquer.
On ne peut pas être certain qu’Abel soit toujours de ce monde à l’heure actuelle, et encore moins qu’il soit le Fantôme. Après tout, pourquoi se serait-il dénoncé lui-même ? Ce serait complètement fou. Et puis la police l’aurait forcément déjà retrouvé s’il était dans le coin ! Si ça se trouve, Abel s’est simplement offert une nouvelle vie, loin de la France. C’était son rêve le plus cher. Plus d’attaches, plus de barrières, la liberté.
En réalité, Céleste savait que sa soi-disant trahison n’était qu’un prétexte pour le quitter. Elle ne pouvait supporter l’idée de voir ressurgir son passé, d’être mêlée d’une façon ou d’une autre au Fantôme. Elle avait eu besoin de s’isoler. De prendre ses distances. William en avait fait les frais.
Elle sent que j’ai un secret. L’instinct maternel sans doute. Un jour, je rassemblerai mon courage et je lui parlerai d’Abel. Je lui dirai combien il est tendre, doux et gentil. Qu’elle n’a rien à craindre, qu’il est différent des autres garçons de son âge.
Je suis double, une face pour la lumière, une face pour l’ombre, dans la seconde je me complais, car une fois installée, la noirceur est en nous pour toujours.