Ç'aurait pu être « Ma vie de dealer, entretiens avec Riri de la cité X... ». On aurait vu Riri organiser son réseau, acheter son herbe par tonnes en Inde, par des moyens légaux. Il aurait payé les taxes, enfin presque toutes les taxes, en graissant quelques pattes, il serait passé ente les mailles de la douane. Il se serait peut-être fait doubler, il aurait pété un plomb, serait parti à la poursuite du Go-fast.
Mais Henry de Monfreid sait écrire lui-même, et est héritier d'une certaine idée de la France. Aventurier, oui, sachant échapper aux autorités, certes, prêt à mentir, à combiner, à trafiquer. Mais avec un mélange de classe et de ruse, tour à tour indifférent au sort des autres et sincèrement admiratif des africains qu'il emploie. Mais sachant télégraphier aux douanes et alerter les agents consulaires quand on le vole.
Il en résulte un récit d'aventure intéressant, avec des temps morts pour décrire les paysages et les hommes, narrer des anecdotes qui font frémir (voire vomir), et des phases de surexcitation avec des coups de poker. Est-ce totalement invraisemblable ou complètement autobiographique ? La deuxième hypothèse semble être la bonne, mais qu'a-t-il embelli ?
Surtout, Monfreid est un marin, de ceux qui en 1934 construisent encore leur voilier eux-mêmes, savent y monter et y entretenir leur Diesel. Et pour les amoureux de la mer, sa description de la lutte contre vents et tempêtes doit faire rêver. Pour un ignare comme moi, ça reste tout de même épatant, les récifs qu'on devine, le jeu de la marée et des courants...
Au vu des citations que j'ai postées, vous aurez compris que Monfreid non seulement est de son époque, mais qu'il en absorbe et défend aussi abominablement et volontiers les pires préjugés. Cela ne m'empêche pas pourtant de conseiller cette lecture, avec un peu de distance bien sûr.
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Les lecteurs des" Cigares du pharaon" se souviennent peut-être du petit voilier qui sauve Tintin de la noyade : son capitaine n'est autre que Henry de Monfreid (1879-1974), navigateur, aventurier, peintre, photographe et surtout écrivain.
Auteur d'une soixantaine d'ouvrages, Monfreid est surtout connu pour ses récits autobiographiques ayant pour décor la Mer Rouge. "La Poursuite du Kaïpan" est de ceux-là, même s'il nous emmène jusqu'en Inde et aux Seychelles...
On y retrouve les grands thèmes chers à Monfreid : la trahison, la contrebande, la critique du colonialisme (assaisonnée, hélas, d'une bonne dose de préjugés raciaux bien de son temps), mais surtout la mer, et tout ce qui va avec.
En effet, plus que l'intrigue, relativement prévisible, ce qui fait que ces pages se lisent d'une traite, ce sont les coups de tabac, les attaques de requin, les actes de piraterie et les récits plus ou moins fabuleux que le capitaine-narrateur glane au gré de ses escales...
A cette quête mouvementée, et pleine de détails passionnants sur les hommes et les femmes peuplant les côtes de la Mer Rouge, s'en superpose une autre, nettement plus symbolique : celle d'un âge d'or que les différents empires, depuis les Phéniciens et les Romains, se sont évertués à détruire, et dont ne subsistent que quelques traces.
Ajoutons que Monfreid est un excellent écrivain, et qu'il n'a pas son pareil pour donner vie et couleurs aux choses les plus simples : une scène de pêche, l'arrivée dans un port, un vol d'oiseaux sur la mer...
La lecture d'un livre de Monfreid est toujours un excellent remède contre les frimas de l'hiver.
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