Préjugé, quand tu nous tiens !
En démarrant
Arpenter la nuit de
Leila Mottley – traduit par
Pauline Loquin - je m'attendais à lire avec plaisir une de ces nouvelles jeunes auteures américaines de la lignée des Harris, Crane ou Offill, qui marquent avec leurs justes et revendicatrices colères raciales et féministes et leur style cash, les sorties US de ces derniers temps.
Raté Jiemde. Car si une partie des thématiques est similaire, la tonalité et la promesse du style sont toutes autres, et augurent d'une auteure dont on devrait entendre beaucoup parler à l'avenir.
En 2015 à East Oakland dans le nord de la Californie, Kiara/Kia tente comme tant d'autres de survivre entre petits boulots, loyer à payer et avenir à dessiner. Si le cancer a emporté son père, c'est une tentative de suicide qui a placé sa mère en centre de réinsertion, laissant Kia seule avec son frère aîné Marcus qui ne rêve que de rap plutôt que de job.
Un ultimatum, un lieu, une rencontre, un instant où tout bascule, et Kia découvre l'argent « facile » de la prostitution ; facile pour celui qui le donne, mais tout sauf « facile » et tellement traumatisant pour celle qui le reçoit. Surtout quand il provient de la petite mafia des flics locaux qui mélangent les genres et abusent des filles. Jusqu'à ce que tout s'effondre…
« Je me dis que mon corps doit sans doute permettre aux petits de se sentir grands. Quand ils me possèdent, ils peuvent tirer leur ego par le cou et cracher du pognon qui était sûrement destiné au loyer ou aux couches de bébé ».
Démarrant doucement, comme sur un faux rythme qui surprend son lecteur,
Arpenter la nuit monte en puissance au fil des pages pour atteindre dans son dernier tiers des moments de beauté et de grâce extrêmement touchants, d'une incroyable maturité pour une auteure de dix-sept ans.
À travers Kia, Mottley dit la solitude et les peurs de toutes ces adolescentes noires qui font face en Californie à la soumission et la violence, à l'abandon familial, et à la tentation du corps comme monnaie de survie.
Les hommes n'ont ici pas le beau rôle, ayant souvent « égaré leur croissant de lune protecteur et salvateur » pour ne penser qu'à d'autres portions de lunes ou à l'image de Marcus, courant derrières les chimères de la gloire facile. Sans oublier l'oncle Ty, insensible aux espoirs portés sur lui par Kia.
Mais heureusement, il y a Trevor, petit gamin à l'abandon, fils quasi abandonné de la voisine, bouée de sauvetage de Kia qui retrouvera en lui une raison d'exister et de se battre, une envie de replonger dans le grand bain de la vraie vie, même si de la merde y flotte un peu partout.
Un formidable rayon de soleil que ce petit Trevor, qui réussira à faire oublier les ombres de la soeur absente ou de la mère abandonniste, et à réapprendre à Kia une autre façon d'arpenter la rue, d'arpenter la vie.
« Il y a énormément de façons de marcher dans la rue et moi je suis juste une fille recouverte de chair ».