- L'amnistie est devenue amnésie, a dit Jean.
Une réserve amérindienne, c'est comme un animal blessé. Ça survit et c'est toujours en guerre. Ça a peur de la mort, mais ça meurt pas. C'est vulnérable et c'est dangereux.
Profitant de leur inattention, j'ai grimpé sur le comptoir, j'ai couru, je me suis arrêtée à sa hauteur et j'ai courbé mon thorax : je le voyais enfin comme je désirais le voir. J'ai pu ressentir sa nature, la déceler de l'intérieur. Au-delà de sa parure humaine derrière laquelle il se camouflait, cet être était emmailloté au cœur d'une toile invisible tissée d'une soie née de sa propre chair, et la bête odieuse qui le tenait prisonnier, se nourrissant à même ses viscères, n'était nulle autre que lui-même.Il était sa propre proie et son propre piège.
Le monde est vaste, mais les humains s’entêtent à aller là où leur âme se déchire.
[...] Tu entends ma voix ? Je le répète : tu peux me faire trancher les bras, les jambes, la tête, faire jeter tout ça en pâture aux chiens, aux oiseaux, me brûler, me noyer, me donner à manger au boa dans sa cage, tu ne verras pas chez moi l'ombre d'un regret ni l'ombre d'une peur.
Il s'était levé. Mille sensations m'ont traversé. Moi j'aurais voulu le regarder et l'entendre parler sans relâche, sans que quiconque ne songe à l'interrompre, tant la déflagration de sa voix, dans la musculature de son corps, enflammait ma mémoire. La colère ! la rage !la peine ! le chagrin ! Voilà que, sans prévenir, s'éveillait la douleur d'avoir été arraché, il y a longtemps, à l'insatiable liberté de mes jungles et de leurs ciels, lorsque, sautant entre les branches, dévorant des espaces de plus en plus vertigineux, je voyais la virginité du monde se déployer sous mes yeux dans sa bouleversante enfance. Toutes les nuances du vert des vies sages et sauvages, où sont-elles ? Où sont-elles ? Voilà qu'un homme, sans me les rendre, me ramenait à elles parce que sa voix, sa parole, qu'aucune hésitation ne perturbait et qu'une même folie habitait, devenaient miennes. Cet homme parlait pour moi qui ne savais pas parler : ses sons étaient mes sons, sa voix était ma voix et sa langue, dépliée comme jamais, faisait vibrer ma raison en lui ouvrant la fenêtre du souvenir.
Aussi impossible que cela puisse paraître, la vie consiste à espérer malgré tout. Peu importent les moyens puisque, en matière d'espoir, tous les moyens sont bons : espérez. On ne sait jamais de quel côté le salut arrive.
- Tu devrais pas écouter ce qui se répète à l’extérieur de la réserve à propos de ce qui arrive à l'intérieur de la réserve par ceux qui vivent à l'extérieur de la réserve.
Il n'a pas de durée, il n'y a que des instants, et la juxtaposition des instants donne l'illusion de la durée.
Insecte, oiseau, chien et humains ont par moments plus à voir l'un avec l'autre que chacun avec ses propres semblables.
L'humain est un corridor étroit, il faut s'y engager pour espérer le rencontrer. il faut avancer dans le noir, sentir les odeurs de tous les animaux morts, entendre les cris, les grincements de dents et les pleurs. il faut marcher, enfoncer les pattes dans une boue de sang et remonter le long d'un fil d'or abandonné là par l'humain lui-même, lorsqu'il n'était qu'enfance et que nul toit ne scellait son plafond. animal parmi les animaux, il ne souffrait pas encore. l'humain est un corridor et tout humain pleure son ciel disparu. un chien sait cela et c'est pour cela que son affection pour l'humain est infinie. (p. 149)