Le monde est immobile tant que les humains se tiennent debout.
Ils ont saccagé les ténèbres et coupé la nuit au couteau de leurs lumières.
Il a imaginé, j’en suis sûr, son sang courir une dernière fois, fuite effrénée, aveugle, à travers le dédale de ses veines pour jaillir comme un éclat de rire par la blessure ouverte…
Ils étaient à présent plusieurs à danser autour de lui. Ils s’impatientaient, se donnaient des coups de bec, hurlaient, caquetaient, furieux. Ils devaient être une cinquantaine, l’un d’entre eux, parmi les plus imposants, avec une crête noire sur le haut du crâne, s’est envolé depuis son promontoire, il a dessiné un grand cercle, juste au-dessus du corps, avant de se poser à côté de la tête puis, d’un mouvement vif et sec, il a planté son bec dans le visage de l’homme pour extraire un œil de son orbite et l’avaler. J’ai poussé un cri, le malheureux tentait de se débattre, je me suis mis à l’appeler, à faire de grands gestes, je voulais me lever, courir, mais à peine je tentais d’avancer que le chien se dressait. Je pleurais de rage, je me suis mis à l’insulter, à hurler, je jetais des pierres pour chasser les oiseaux, parvenant à en effrayer quelques-uns qui revenaient aussitôt vers leur proie, quand brusquement, sans qu’un seul signal ne soit donné, je les ai vus s’abattre sur l’homme, sauvagerie des sauvageries, dans un grand bruissement d’ailes, froissant ensemble leurs plumages confondus, s’acharnant sur le corps qui se tournait et se retournait. Ils l’ont lacéré, l’ont déchiré, se battant les uns contre les autres avec des cris furieux, des cris barbares, des cris rauques et macabres, ils se coursaient, des fragments de chair entre le bec, ils se volaient leur part, ils se mordaient avant de s’élancer à nouveau sur la dépouille. Ils l’ont démembré, séparant ses bras de ses épaules et ses jambes de son tronc, deux d’entre eux l’ont émasculé tandis que les autres avaient défait le nœud du nombril, épluchant la peau du ventre, l’ouvrant comme une fleur pour se partager ses entrailles, s’envolant quelques mètres au-dessus du sol, intestins accrochés à leurs serres, afin de les déployer dans l’air, les déchiqueter et les porter à leur bouche, morceau par morceau, avant de se jeter à nouveau sur le cadavre dans l’espoir de lui extirper un nouveau lambeau de viande. Ils se délectaient de tout, enfonçaient leur tête à l’intérieur de la carcasse, farfouillaient dedans comme s’ils cherchaient à atteindre l’âme de l’homme et la dévorer.
Il n'y a pas de durée, il n'y a que des instants, et la juxtaposition des instants donne l'illusion de la durée.
Il allait sous la pluie quand ses semblables allaient sous leur parapluie.
Celui qui ne fait que hurler sa douleur n'en verra jamais le visage tout autant que celui qui s'obstine à la taire. C'est la leçon des chauves-souris : pour voir le visage de ce qui te fait souffrir, tu dois faire de ta douleur un collier qui enchaîne des perles de silence aux perles de tes cris.
Les chats existent pour que l’humain puisse caresser les tigres.
Chaque humain a un animal comme symbole de cette part invisible de son être magique, sa poésie, son totem.
Le fleuve glissait dans son vêtement de khôl, la glace en plaques cadenassait sa puissance.