Le vent nous portera

Parce qu’ils se comprennent. Et cette bonne vieille gazelle voit que le lion est tout détendu, et qu’il veut juste boire un coup. Et l’hippopotame est tout tranquille, et alors tous, ils vivent et laissent vivre. Mais vous les mettez dans une plaine au crépuscule, et ce même lion rôde avec une lueur dans l’œil – eh bien, les gazelles vont décamper vite fait.

La vie conjugale, lui avait-on dit, serait une aventure. Un voyage vers un nouveau pays ! Elle avait épousé un Américain, après tout. Une nouvelle gastronomie ! Une nouvelle culture ! De nouvelles expériences ! Elle s’était imaginée à New York, impeccable en tailleur deux-pièces, dans des restaurants animés et sur des trottoirs fourmillants. Elle écrirait en Angleterre, se targuant de ses nouvelles expériences.

Et voilà la vérité brute, pour elle, ainsi que pour toutes les femmes des environs. Peu importe combien vous êtes maligne, brillante, indépendante – vous pouvez toujours tomber sur un abruti avec une arme à feu. Le canon de son fusil est désormais si près qu’elle se retrouve nez à nez avec les deux trous d’un noir infini. Il le lâche brusquement avec un grognement, le laissant se balancer derrière lui sur sa bandoulière, puis se saisit des rênes de Margery. La mule pivote, et la jeune femme vacille en avant sur son encolure. Elle sent McCullough essayer de lui agripper la cuisse tandis qu’il tend l’autre main en arrière pour prendre son arme. Il a l’haleine âcre des ivrognes et la main incrustée de saleté ; à son contact, chaque cellule du corps de Margery est révulsée.

Elle n’a jamais eu peur de grand-chose, mais elle connaît assez ces hommes des montagnes pour savoir qu’il ne faut pas chercher la bagarre avec un ivrogne. En particulier s’il porte un fusil chargé.

Il n’y a pas que ce canasson que je serais heureuse de chevaucher. Mon époux disait que j’avais une sacrée assise, quand j’étais jeune fille !