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Critique de enjie77


Je continue d'explorer l'oeuvre de cet auteur majeur hongrois que fut Sandor Marai. Découvert avec « Mémoires de Hongrie », j'avais été agréablement surprise, je dirais même émerveillée, par la similitude de son style avec Stefan Zweig. Une écriture élégante, j'oserais écrire aristocratique, qui sait parfaitement mettre en évidence ce que cachent nos failles, nos motivations, nos sentiments. Il surprend par une grande profondeur de réflexion, une belle acuité d'analyse des passions humaines.

Antifasciste dans un pays collaborant avec l'Allemagne nazie, il quittera son pays en 1948, à l'entrée des chars soviétiques dans Budapest, pour les Etats-Unis jusqu'à son suicide en 1989. Là encore, sa gémellité avec Zweig interpelle. Il ne sera réhabilité en Hongrie qu'en 1990, après son suicide.

Le titre original de ce roman serait « A gyertyak csonking égnek », ce qui signifie « Les chandelles brûlent jusqu'au bout ». Après avoir pris connaissance de ce livre, le titre m'a intriguée. J'ai cherché le lien entre « Les braises » et le récit et me suis rendue compte que le titre initial était bien plus en adéquation avec la traduction littérale.

Dans un château en Hongrie, Henri, âgé de plus de soixante-quinze ans, général à la retraite, attend son ami Conrad qu'il n'a plus revu depuis plus de quarante et un ans. le temps s'est écoulé. L'empire austro-hongrois n'existe plus. La seconde guerre mondiale est à ses débuts.

Amis d'enfance malgré leurs différences sociales - l'un est issu d'une famille extrêmement fortunée, évoluant dans l'entourage de l'empereur François-Joseph, l'autre est issu d'une famille de fonctionnaires - il n'en reste pas moins qu'Henri et Conrad demeurent très attachés l'un à l'autre, inséparables pourrait-on dire. Alors, comment se fait-il que du jour au lendemain, Conrad se soit exilé sous les tropiques après avoir donné sa démission de l'armée et tout cela, sans donner de raison. le moment tant attendu est enfin arrivé, Conrad est de retour à la table d'Henri. Celle-ci a été dressée avec le service de porcelaine française, le repas, les fauteuils, la disposition des fleurs dans les vases, tout est à l'identique du dernier soir qui les a vus réunis il y a quarante et un ans. Il manque Christine, l'épouse d'Henri, qui est décédée.

J'ai beaucoup apprécié ce huis-clos très intimiste, cette confrontation entre deux hommes où au fur et à mesure que les chandelles se consument, la tension dramatique se fait de plus en plus intense jusqu'à l'ultime révélation qui se fait connaître en toute fin du récit. Toute la force de ce chef d'oeuvre réside dans le dialogue truffé de non-dits qui s'installe entre les deux amis. de leurs échanges, il se dégage beaucoup de vulnérabilité, c'est indéfinissable. Si l'un des deux vient à souffler sur les « braises », tout peut s'embraser en un instant. Peut-être est-ce justement cette nécessité ou la peur d'entrevoir enfin une parcelle de vérité qui rend l'instant si fragile et que la vieillesse les rapproche de la mort. Ils ont fui la vie tous les deux, l'un sous les tropiques, l'autre dans une annexe de son château. L'un comme l'autre, ils n'ont pas osé aimer, pas osé affronter leurs émotions. Henri a passé sa vie à se poser des questions, mortifié, rongé par la rancoeur, et ce sont toutes ses réflexions qu'il livre à Conrad. A chaque main tendue, une révélation vient bousculer l'espoir de les voir se réconcilier.

C'est une histoire d'amitié entre deux hommes, d'une amitié bafouée, perdue que nous livre Sandor Marai. Une histoire où les valeurs liées à ce sentiment d'amitié sont mises à rude épreuve.

J'ai relevé qu'Henri reste sans nouvelle de Conrad pendant quarante et un ans. J'ai noté que l'exil de l'auteur est aussi de quarante et un ans. Selon La Bible, le nombre 40 est le nombre de l'attente, de la préparation, de la maturation, de l'épreuve ou du châtiment.

« Il reste l'une des grandes voix de la Mitteleuropa, aux côtés de Stefan Zweig ou Thomas Mann qu'il admirait ». France Culture.

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