page 78
Elle enlève ses escarpins, les balance. elle regarde ses ongles d'orteils, deux foutus, trois ébréchés.
Gueule consumée, peau mal rasée comme barbouillée de cendres, des joues qui pendent. Il sent l’alcool. Paumé dans un endroit pas pour lui, il a vraiment tout du pauvre type. Des fringues façon classique, mais classique cheap. Sans son haleine avinée qui couvre tout, il sentirait l’usure, le râpé, le fond de tiroir et la friperie. Il a l’âge des porcs en crise.
Elle se met à marcher vite, comme si elle savait où elle allait
Elle a si bien menti que jamais personne ne croira la vérité
Elle ment avec l’aplomb et l’émotion de la vérité.
Même pour faire les comptes de l'opération, elles ne baissent pas la voix. Deux cent cinquante-quatre euros, une Rolex, une alliance en or blanc, un MacBook Air, des produits d'hygiène, un sèche-cheveux et un couvre-lit. « Et rien à faire qu'un petit shooting et gérer le porc », ajoute Bambi, « c'est comme devenir blindées en dormant. Faudra voir, pour la quincaille, je crois bien qu'on en tirera cinq cents au moins. Et puis un jour on tombera sur le jackpot, parce qu'y a des mecs qui se promènent avec de vraies liasses, on finira par tomber sur l'un d'eux, c'est forcé. »
Leïla dit :
« Autour de sept cent cinquante dolls au total, alors ? Pour la maille, ça vaut pas la bicrave. Je fais les cinq cents facile en poussant dix grammes.
— Peut-être. Mais là y a la win. Et puis c'est trop bon, c'est carrément bon. »
On fera quoi, ma Leï, quand on aura fait le million d'eu.
— On flambe. On claque. On se casse. Thaïlande. Caraïbes.
— Je paie un pav à maman, et on se casse ouais, tellement. »
D'instinct elle recule, le Sig Sauer caché dans le dos. Elle est toute menue et ravissante, et maquillée à faire peur. Des yeux avec des peintures de guerre et des couleurs de tranchée et de boue dévorée, mais un visage en cœur, des arêtes fines. Elle porte un jeans slim et marche pieds nus.
Nouveaux coups à la porte. Elle dit à une autre fille, qui se tient en retrait, « Vas-y toi, tu fais plus vieille. » De cette fille, à peine moins jeune, on ne distingue pas grand-chose, tant tout d'elle est occulté par trop de cheveux, d'une blondeur anormale. Elle porte une robe de satin bleu décoloré un peu grande mais, à la voir, habituée ni aux robes ni aux talons. Elle ouvre la porte de quelques centimètres, genre situation très intime :
« Vous laissez tout devant la porte, merci. »
Elle referme. Elle attend, ouvre de nouveau, prudente : le loufiat est parti, la voie est libre. Le petit chariot qu'elle tire à l'intérieur est couvert de verres et de jolis plats sous cloches métalliques. Champagne et room service. Elle dispose tout sur la table de la suite, et en dernier, le chandelier design pourvu de flammèches électriques. Dînette pour lovers. Waw. C'est beau.
Bambi prend tout, demande plus, et n'avale jamais rien, met tout soigneusement de côté pour maman, qui a besoin de sommeil et de tranquillité. Tandis qu'elle-même a besoin de lucidité, de force et de courage. La haine, c'est bon, elle a déjà ce qu'il faut.
A part ça, la life me bousille, ouais, la vie est une pute et on n'a même pas les thunes pour l'acheter.