-C'est un peu triste de s'enivrer tout seul.
-Le monde entier m'abandonne; je tâche d'y voir double, afin de me servir à moi-même de compagnie.
-Que tu es heureux d'être fou !
-Que tu es fou de ne pas être heureux !
MARIANNE. – Comment s’appelle ce lait merveilleux ?
OCTAVE. – L’indifférence. Vous ne pouvez aimer ni haïr, et vous êtes comme les roses du Bengale, Marianne, sans épines et sans parfum.
MARIANNE. – Bien dit. Aviez-vous préparé d’avance cette comparaison ? Si vous ne brûlez pas le brouillon de vos harangues, donnez-le-moi, de grâce, que je les apprenne à ma perruche.
Vous ne savez ni aimer ni haïr et vous êtes comme les roses du Bengale, Marianne, sans épines et sans parfum.
Malheur à celui qui, au milieu de la jeunesse, s'abandonne à un amour sans espoir ! Malheur à celui qui se livre à une douce rêverie, avant de savoir où sa chimère le mène, et s'il peut être payé de retour ! Mollement couché dans une barque, il s'éloigne peu à peu de la rive; il aperçoit au loin des plaines enchantées, de vertes prairies et le mirage léger de son Eldorado. Les vents l'entraînent en silence, et quand la réalité le réveille, il est aussi loin du but où il aspire que du rivage qu'il a quitté; il ne peut plus ni poursuivre sa route ni revenir sur ses pas.
MARIANNE. – Encore ici, seigneur Octave ? et déjà à table ? C’est un peu triste de s’enivrer tout seul.
OCTAVE. – Le monde entier m’abandonne ; je tâche d’y voir double, afin de me servir à moi-même de compagnie.
MARIANNE. – Comment ! pas un de vos amis, pas une de vos maîtresses qui vous soulage de ce fardeau terrible, la solitude ?
OCTAVE. – Faut-il vous dire ma pensée ? J’avais envoyé chercher une certaine Rosalinde, qui me sert de maîtresse ; elle soupe en ville
comme une personne de qualité.
MARIANNE. – C’est une fâcheuse affaire sans doute, et votre cœur en doit ressentir un vide effroyable.
OCTAVE. – Un vide que je ne saurais exprimer, et que je communique en vain à cette large coupe. Le carillon des vêpres m’a fendu le
crâne pour toute l’après-dînée.
CLAUDIO - Je crois que Marianne a des amants.
TIBIA - Vous croyez, monsieur ?
CLAUDIO - Oui ; il y a autour de ma maison une odeur d’amants ; personne ne passe naturellement devant ma porte ; il y pleut des guitares et des entremetteuses.
TIBIA - Est-ce que vous pouvez empêcher qu’on donne des sérénades à votre femme ?
CLAUDIO - Non ; mais je puis poster un homme derrière la poterne, et me débarrasser du premier qui entrera.
Acte I
Marianne- Pourquoi n' aimerais-je pas Claudio ? C' est mon mari.
Octave- Pourquoi n' aimeriez-vous pas Coelio ? C' est votre amant
Tibia : Fi ! Votre femme n’a pas d’amants. – C’est comme si vous disiez que j’ai des maîtresses.
Claudio : Pourquoi n’en aurais-tu pas, Tibia ? Tu es fort laid, mais tu as beaucoup d’esprit.
« Malheur à celui qui, au milieu de la jeunesse, s'abandonne à un amour sans espoir. »