Mazinger Z, tome 1

Le contexte : les années 1970 !
Dans les années 1970, la culture populaire entre dans la maturité en intégrant sexe et violence certes, mais d’abord et surtout en proposant des œuvres qui ont envie d’être plus ambitieuses, plus riches et plus profondes (ah, on m’informe dans l’oreillette que les aristos et les bobos s’étranglent de rage… Et bien tant pis pour eux ! ^^)
Nous au moment où le météore "Ashita no Joe", le manga qui prenait la défense des nombreux laissés pour compte du miracle économique japonais, est arrêté sur ordre du gouvernement qui s’est fait dessus devant une société défilant dans les rues avec des pancartes « Nous sommes Joe Kabuki ». C’est tout le genre gekida (mangas dramatiques souvent contestataire) qui devient la cible de tout le Japon bien-pensant et on conseille très fortement aux éditeurs de se cantonner à des shonen ou des shojo plus politiquement corrects. Mais toute une génération de mangaka se retrousse les manches et prend la relève (qui sème le vent, récolte la tempête…) : parmi eux, Go Nagai fait entrer à lui tout seul la planète manga dans la modernité !

L’auteur : Go « fucking » Nagai !!!
Né l’année des crimes contre l’humanité d’Hiroshima et de Nagasaki, le mangaka n’a eu de cesse de mettre en scène de nouveaux Oppenheimer détenteurs d’une puissance illimitée et confrontés au choix de devenir héros ou salaud. En travaillant comme assistants pour le mangaka le plus populaire des années 1960, il reprend le mélange entre science fiction et fantastique, le goût pour la mythologie et l’occultisme mais surtout pour les univers de Série B. D’une immense créativité, il va plus loin que son sensei réinvente plusieurs genres quand il ne les invente pas tout court :
- avec sa trilogie "Mazinger Z", "Great Mazinger", et "Grendizer", il invente le genre mecha aujourd’hui presque consubstantiel aux mangas et à la japanime ^^
- avec "Mao Dante", "Devilman", et "Shuten Doji", il pose absolument toutes les bases et tous les codes des mangas / animes d’horreurs modernes…
- avec Violence Jack, il crée le genre post-apocalyptique bien avant "Mad Max" et "Hokuto no Ken" !
- en voulant contourner la censure de son temps, il invente le ecchi avec "Harenchi Gakuen" et par ricochet les magical girls avec "Cutey Honey"
Il travaillait en parallèle "Harenchi Gakuen", "Devilman" et "Mazinger Z", quand il fut violemment attaqué par le Japon bien-pensant au point de songer à arrêter sa carrière : sa vengeance fut terrible !
Dans le 1er, qu’il fut obligé d’arrêter, ces personnages se font massacrer des un commando de fanatiques du PTA ! Dans le 2e, il fait un fuck magistral à tout le monde en allant jusqu’au bout de son chef-d’œuvre nihiliste avec une violence inouïe et rarement égalée à jour… Dans le 3e, il parvient à se torcher le cul avec la censure en mettant de sexe et de la violence dans un shonen lu par tout une génération d’enfant au grand dam d’une génération de parents qui s’est un peu senti visée par ses critiques acerbess… ^^
Comme bien d’autres soixantehuitards, il est passé de la contre-culture au grand business, mais en son temps il a fait sacrément bouger les choses !

L’œuvre : "Mazinger Z" qu’est-ce que cela raconte ?
Le Docteur Hell trouve sur l’île de Bardos (= Rhodes) un arsenal de machines de guerre (cf le Talos crétois, le colosse rhodien, la Machine d'Anticythère…) laissé par une civilisation disparue (ses Mykéniens reprenant plus au moins le rôle des Atlantes). Shotaro Ishinomori appréciait la mythologie grecque, son élève Go Nagai va l’adorer, et Masami Kurumda l’héritier de ce dernier va la faire adorer dans le monde entier... On a donc à la foi un savant fou et un apprenti maître du monde qui va ordonner à ses Kikaijû / Bêtes Mécaniques de semer de chaos et la désolation : sur sa route, le robot le plus fort du monde construit par son vieil ami / ennemi Juzo Kabuto dont va hériter notre héros condamné à être le sauveur du monde ou son fossoyeur !
Oui on révolutionne ici le genre super-robot en associant science-fiction et nekketsu, au point que plus personne ne se souvient de ce qui existait dans le genre avant cette série. Du coup on se retrouve avec des catcheurs en armure affrontant des monstres mutants à échelle de géants : c’est robots contre kaijûs, une configuration qui était appelée à un grand avenir… Avant je trouvais super kitsch le côté « Tokyo delenda est ! », mais maintenant que je comprends que les auteurs on vu leur pays complètement détruit par le Seconde Guerre Mondiale, j’y vois carrément une catharsis ! Et ici entre le Docteur Hell version grimdark d’Oppenheimer, le Comte Brocken et ses Waffen SS de la Croix de Fer et les autres vilains de la série qui empruntent à des criminels de guerre de sinistre mémoire, on ne sait plus trop si l’ennemi honni est l’Oncle Sam, l’Allemagne nazie ou la génération précédente qui a conduit le Japon à la ruine… (C’était quand même plus clair dans Goldorak où l’Empire de Véga du Grand Stratéguerre était une critique même pas déguisée de l’Empire du japon du mikado Hiro-Hito !)
Mais au final, le mangaka reprend l’idée majeure de "Devilman" : la jeunesse a la possibilité de changer le monde, en bien ou en mal, et il ne tient qu’à elle pour faire les bons choix au lieu de faire des mauvais. Après Joe Kabuki, Kôji Kabuto comme Akira Fudô est un jeune de 1968, donc rebelle et révolté mais plein d’espérances quand à l’avenir : à la première page il s’adresse à nous autres lecteurs (un peu de la même manière qu’Akira Fudô dans "Devilman" d’ailleurs ^^). Que ferions-nous si nous disposions du pouvoir ? Ferions-nous le Bien ou le Mal ? Deviendrions-nous Dieu ou Diable ? (thématique qu’on retrouve peu ou prou dans les "X-Men" à la même époque, ce qui nous offrira la saga du Phénix Noir avant celle de la rédemption de Magnéto ^^)
La série est très cool, mais il faut vraiment avoir une vue d’ensemble sur la saga pour bien cibler ses qualité mais aussi ses défauts. On reste dans le shonen vintage certes, mais à l’image de son sensei le mangaka maîtrise très son sujet. En fait les scènes cartoonesque, burlesque ou coquines peut surprendre, mais celle sont d’indispensables comics relief faisant retomber la tension, tant certains passages sont sombres, violents voire carrément gore, et sans elles la série aurait été inregardable pour un public non averti. L’auteur alterne découpage rectiligne et découpage oblique dynamise les scènes d’action, et les combats ne lésine pas sur le sang à l’échelle humain et sur l’huile à l’échelle robotique (crypto censure qui sera ensuite la norme avant le retour de la boucherie dans "Neon Genesis Evangelion"). Pour ne rien gâcher, il nous offre également des planches qui pètent la classe au point de n’avoir pas pris une ride quand il faut souligner un climax !


Ce tome 1 est un tome d’exposition super bien travaillé !

Dès les premières pages le héros s’adresse au lecteur pour poser les enjeux du show (d’ailleurs un peu plus loin le héros explique à son meilleur ami que le pouvoir et l’argent n’ont de sens que mis au service des autres), puis nous faisons connaissance de la famille Kabuto, le vieux scientifique Juzo Kabuto élevant ses petits fils Kôji et Shirô depuis la mort de leurs parents.
Après un violent séisme, Kôji rentre chez lui pour découvrir un immense laboratoire souterrain et son grand-père agonisant… Celui-ci lui confie le Mazinger Z, un monstre de métal capable de protéger le monde ou de le détruire !
Cette première séquence est assez touffue mine de rien :
Le nom du robot signifie à la fois OVNI, l’auteur étant bien conscient de jouer avec cette série un rôle pionnier, mais aussi dieu-démon / démon-dieu, ce qui renvoie directement à la problématique de la série. On ne sait pas trop si un séisme a créé un accident ou un accident a provoqué un séisme (sans parler de la présence ce mystérieux androïde : serviteur ou assassin ?) : les versions suivantes répondront à cette question ! Et puis les explications de Juzo Kabuto sont super ambiguës quand on y réfléchit bien : est-il l’Oncle Ben du Héros aux mille et un visages (remember Peter Parker et Luke Skywalker), ou finalement est-il un savant fou comme les autres pas si éloigné du Docteur Hell ?

Kôji prend possession de son héritage, et cause de gros dommages à la ville dans ses maladresses pour le piloter. Les autorités dépassées font alors appel au Professeur Yumi du centre de recherche photonique qui envoie alors le robot géant Aphrodite A piloté par sa propre fille Sakaya pour le stopper. Après une première passe d’armes, les deux pilotes sympathisent et Sakaya bien plus expérimentée que son vis-à-vis complètement néophyte lui explique comment diriger le Mazinger Z ou lieu que se soit le Mazinger Z qui dirige Kôji. Tout le monde, y compris nous, se pose beaucoup de question, et c’est Yamitarô Ankokuji, le très cool inspecteur issu d’un clan de yakuza qui semble issu d’un manga de Monkey Punch, qui réponde à toutes ces questions !

C’est le moment où le désormais célèbre Baron Ashura, être hermaphrodite clairement inspiré du Double-Face du batmanverse, lance les kikaijû Garada K7 et Dabras M2 à l’assaut du centre de recherche photonique pour s’emparer de ses secrets au nom de son maître le Docteur Hell. Mazinger Z et Aphrodite A arrivent à la rescousse et les lecteurs découvre en même que le héros les formidables capacités offensives de son super-robot : ROCKET PUNCH ! BREAST FIRE ! RUST HURRICANE ! PHOTON BEAM !
Vaincu le Baron Ashura rentre faire son rapport au Docteur Hell, qui graphiquement reste masqué dans l’attente de se mieux être révélé ultérieurement dans la plus grande tradition des shonen des années 1970 (au passage le mangaka nous offre une magnifique planche à la Gustave Doré)

Mais le principal antagoniste du héros a tout de suite identifié la principale faiblesse du Mazinger Z : son pilote ! Des casques de fer, les sbires du Docteur Hell sont alors envoyés l’assassiner. Kôji est alors confronté à sa deuxième épreuve : pour affronter des adversaires prêts à tuer, sera-t-il lui aussi prêt tuer pour remporte la victoire ? Ici on repousse l’échéance puisque qu’un casque de fer s’empale sur sa propre lame avant que Yamitarô Ankokuji n’abattent ses acolytes. J’ai halluciné quand l’auteur révèle graphiquement la véritable apparence et la véritable nature des casques de fer : OMG quelle horreur, et surtout OMG comment la censure de l’époque a-t-elle pu laisser publier dans un shonen grand public un truc aussi horrible !!!
Toujours est-il que le Baron Ashura ne s’avoue pas vaincu et lance le kikaijû Dogra S1 / Magra F2 à l’assaut… (il s’agit d’un adversaire siamois qui va influencer le genre jusqu’au cultissime "Neon Genesis Evangelion" ^^) To Be Continued !


Le très gros défaut de la saga, c’est qu’elle a été considérablement victime de son succès !
La trilogie super-robot de Go Nagai qui fait 11 tomes sur papier a enflé au point de compte 222 épisodes télé pour les série-mères ! Passé un cap, on ne sait plus si l’anime est tiré du manga ou si le manga est tiré de l’anime quand il devient pas un simple supporte publicitaire de ce dernier : on fait référence à des événements de la série télé qu’on a jamais vu dans le manga, on fait des clins d’œil aux comédiens de doublage, on invite les lecteurs à chanter le générique à tue-tête, on fait la transition entre la série et sa suite avant même que la série soit terminée, et au final la série papier devient une suite de fillers avec monster of the week pour faire patienter les téléspectateurs entre les épisodes télés… Du grand n’importe quoi ! Et puis après il y aussi les suites, les remakes, les reboots, et parfois les trois mélangés, qui viennent foutre le gros bordel dans la timeline de la saga, en mangas comme en animes et là encore il y a des interférences, des incohérences et des influences croisés malheureuses !
Mais la dernière mouture de la saga lancée avec l’anime "Shin Mazinger Shougeki! Z Hen" met de l’ordre dans ce gros bordel ! (en se moquant d’ailleurs dans l’épisode 1 du gros bordel mis par l’auteur dans sa saga ^^)
Kôji Kabuto devient le dernier espoir de lever la malédiction de la famille Kabuto, dont les fautes, les crimes et les péchés sur plusieurs générations nous sont révélés (Kabuto et Skywalker mêmes combats ?), les personnages secondaires sont nettement plus étoffés, les origines et les motivations des super-vilains sont dévoilés, la Mazinger Army intervient dès le départ, Sakaya assume son statut de strong independant woman, et on va à fond dans la thématique du choix avec un héros largement tenter de passer du Côté Obscur de la Force… Mieux le backgound trilogique est mieux construit puisqu’on passe des Bêtes Mécaniques du Docteur Hell, aux Guerriers Mécaniques du royaume souterrain de Mykène, avant de préparer le terrain aux Dieux Mécaniques aliens de l’empire stellaire de Gaïa et Ouranos… Car en fait, le Mazinker Z a été construit avec les reliques de celui qui s’est retourné contre les siens pour devenir le premier défenseur de la terre : ZEUS !!! (pas de bol, les puristes ont fait capoter le projet "God Mazinger" : on retombe dans les problèmes des comics : la séries tournent en rond parce que dès qu’on s’éloigne trop de la formule initiale les puristes organisent les levées de boucliers)