Ne comptez pas les années écoulées et elles ne vous arqueront que d’une main légère...
- Heureuses ? Que parlez-vous de bonheur ? Vous êtes heureuse, Gladys, dit la vieille femme en soupirant. Mais vous ne le savez pas encore. Vous verrez, à mon âge. En somme, il n’y a qu’une réalité, qu’un bonheur au monde, c’est la jeunesse. Vous avez quel âge ? Trente ans à peine, sans doute ?… Eh bien, il vous reste dix ans de bonheur. Quarante ans, c’est déjà un âge terrible. Après, je dirais que l’on s’habitue, on devient moins exigeant. On goûte de petites joies, soupira-t-elle, en songeant à son amant. Mais à quarante ans, on ne s’est pas vu vieillir. On vit dans l’illusion que l’on en a vingt, que l’on aura vingt ans éternellement et, tout à coup, un choc, n’importe lequel, un mot, un regard dans les yeux d’un homme, un enfant qui veut se marier, ah, c’est horrible…
Toutes les passions sont, en fin de compte, tragiques, tous les désirs maudits, car on obtient toujours moins que l’on a rêvé…
Jamais elle ne devait oublier cette brève saison. Il reste toujours au fond du coeur le regret d'une heure, d'un été, d'un court moment, où l'on atteint sans doute son point de floraison.
Un amour longtemps secret, longtemps enfermé dans le cœur devient amer en vieillissant, se corrompt et se transforme en un âcre ressentiment.
« Pourquoi vous et vos pareilles craignez-vous tant que l’on sache votre âge ? … Si vous aviez commis un crime, vous en auriez moins honte. » (p. 215)
Elle pensait qu’une femme n’est jamais blasée, qu’elle est un petit animal infatigable, qu’un ambitieux peut se lasser des honneurs et un avare de l’or, mais que jamais une femme ne renonce à son métier de femme ; quand elle pensait à la vieillesse, elle lui paraissait si lointaine encore qu’elle la regardait en face sans trembler, s’imaginant que la mort viendrait pour elle avant la fin du plaisir.
elle ne voulait pas de la beauté fragile, pathétique, menacée de la maturité ; il lui fallait l’éclat, le triomphe insolent de la véritable jeunesse.
Entre elles, elles se parlaient parfois intimement, mais à la manière des femmes, capricieuse, frivole, dissimulant d'instinct leurs pensées les plus secrètes, les révélant malgré elles par une raillerie ou un soupir, et cachant sous des propos légers une amère expérience qui, comme un grain d'encens ou de sel, parfumait leurs paroles vaines.
Qu’il était doux de voir un homme à ses pieds… Qu’y avait-il de meilleur au monde que la naissance de ce pouvoir de femme… ? C’était cela qu’elle attendait, cela qu’elle pressentait depuis tant de jours… Le plaisir, la danse, le succès, cela n’était rien, cela pâlissait devant cette sensation aiguë, cette sorte de morsure intérieure qu’elle éprouvait.