Etoiles Notabénistes : ******
Schneewittchen muss sterben
Traduction :
Jacqueline Chambon
ISBN : 9782330018757
Je constate, non sans étonnement, que ma dernière fiche sur cette auteur remonte à 2013. C'est en effet l'année où j'ai découvert
Nele Neuhaus et son sens tout à fait remarquable du polar. Rappelons d'ailleurs que les Allemands, bien que moins bien répertoriés dans les magasins français, sont assez forts dans le sujet, au contraire de certains écrivains scandinaves qui ne doivent leur apparition chez Babel Noir qu'à leur qualité de "scandinaves" justement.
Nous voici en 2017 - j'aimerais dire que le temps passe vite et, dans un sens, c'est assez vrai, finalement ;o) , quelles que soient les circonstances dont il nous accable parfois - et j'ai le grand plaisir de vous présenter "
Blanche-Neige Doit Mourir", quatrième "tome" (apparemment, en tous cas, mais rappelons que les éditeurs français ne respectent pas toujours l'ordre de sortie observé dans le pays d'origine : il semble d'ailleurs que les deux premiers de la série von Bodenstein-Kirchhoff n'aient pas encore été traduits ) )de la série des exploits policiers du commissaire Oliver von Bodenstein et de son assistante, le lieutenant de police Pia Kirchhoff, autour desquels on retrouve l'équipe déjà présente dans "
Flétrissures" : Henning Kirchhoff, médecin-légiste de grand talent mais quasi obsessionnel, ex-mari de Pia (ils ont conservé de bonnes relations) ; Kai Ostermann, qui s'occupe surtout de tout ce qui regarde l'informatique ; Christian Kröger, qui appartient à la Police scientifique et quelques autres ...
"
Blanche-Neige doit mourir" est à l'origine une phrase que, dix ans plus tôt, la jeune Laura Wangler, follement jalouse de sa rivale, qui n'avait eu aucune peine à imposer sa beauté et son caractère au lycée, Stephanie, avait fait imprimer sur des T-shirts, avant la kermesse où Stephanie devait justement interpréter le rôle de "Blanche-Neige", dans la pièce montée par leur professeur d'allemand, Gregor Lauterbach. Précisons que, à l'origine, le rôle avait été promis à une troisième jeune demoiselle, Nathalie, certes moins jolie que les deux précédentes mais qui possédait un réel talent d'actrice. Précisons aussi que Stephanie avait "volé" son petit ami, Tobias Sartorius, à Laura et que, en parallèle, Tobias affectionnait beaucoup Nathalie, tout en ne voyant en elle qu'un garçon manqué, un bon "copain" en somme, à qui il racontait tout - et peut-être trop car l'adolescente était amoureuse de lui. Tobias avait, il est vrai, tout pour plaire : beau, intelligent, avec quelque chose d'animal, de sauvage et, avec cela, il était l'héritier de l'auberge du "Coq d'Or", qu'avait fondée son père, Helmut.
La kermesse va très mal se terminer pour tout le monde. Pour Laura et Stephanie tout d'abord, qui se retrouvent assassinées (par qui, on mettra longtemps à le deviner et à en avoir la preuve, tant Neuhaus a l'art d'embrouiller les pistes). A noter que les deux corps disparaissent et qu'on ne les retrouvera l'un et l'autre que ... dix ans plus tard, alors que Tobias Sartorius, qui avait été condamné sur des preuves indiscutables mais sans le corps du délit, si l'on peut dire, aura purgé sa peine pour le double-meurtre et sera revenu à Altenhain. Un Altenhain où son père a pratiquement tout perdu : auberge abandonnée par les clients au profit du "Cheval Noir", ouvert par un rival après l'Affaire Sartorius, ferme à l'abandon, début de clochardise, pourrait-on ajouter. Plus de Nathalie non plus : c'est pourtant elle, qui n'a cessé d'écrire à Tobias pendant toutes ces années, qui le ramène au village natal mais elle est devenue Nadja von Bredow, une actrice célèbre pour le rôle de commissaire de police qu'elle tient dans une série à succès. Gregor Lauterbach, avec qui Stephanie flirtait honteusement tout en faisant croire au pauvre Tobias qu'il était le seul homme de sa vie, a, lui aussi, fait du chemin, grâce aux relations de sa femme, le Dr Daniela Lauterbarch (une personne très aimable et toujours à l'écoute de toutes et de tous) : il est devenu ministre de l'Education nationale. Enfin, Claudius Terlinden, le hobereau du coin, qui avait aidé les Sartorius lors du procès en procurant à Tobias un bon avocat et qui, plus tard, à racheté toutes les dettes de son père de telle manière que le domaine des Sartorius lui appartient désormais tout entier, notamment une pièce de terre très importante pour l'immobilier sur laquelle il a fait construire sa société personnelle après l'avoir rachetée cinq fois au-dessous de sa valeur à un Helmut Sartorius complètement déboussolé, n'a cessé de prospérer. Toujours aussi aimable, ne cesse de proposer à Tobias un emploi dans l'une de ses sociétés. Mais Tobias est comme le Andy de la chanson des Rita Mitsuko : Tobias se méfie ... Il n'a jamais aimé Terlinden et n'a pas apprécié que son meilleur ami, Lars Terlinden, fils aîné de l'homme d'affaires, s'en aille étudier aux Etats-Unis le lendemain même ou presque de son arrestation. du second fils, il n'a pas gardé grand souvenir : Thies en effet est autiste et plutôt farouche. Mais il aimait beaucoup Stephanie. Est-ce pour cela que, au retour de Tobias, Thies s'approche de lui un soir et lui serre la main tout en lui disant bonjour - ce qui, pour un autiste, témoigne en général d'un grand effort qu'il effectue exclusivement pour les gens qu'il aime ou apprécie ?
Autre changement, qui va déclencher beaucoup de choses et amènera en fait à l'élucidation du double meurtre pour lequel Tobias s'est vu condamné injustement : l'apparition d'Amelie Frölich comme serveuse au "Cheval Noir". Amelie est jeune mais elle vient de Berlin où elle a mené une jeunesse plutôt chaotique. Elle n'a pas froid aux yeux et, très vite, elle, qui se sent malcomprise de ses parents et même rejetée par eux, s'intéresse à Tobias et se lie d'amitié avec lui. D'amitié et même un peu plus ... En effet, le hasard s'est arrangé pour que la jeune fille présente une ressemblance physique frappante avec la défunte Stephanie. Elle est d'ailleurs adorée de Thies qui lui parle et la laisse lui prendre le bras, la main, etc ... sans problème.
Que viennent faire là-dedans Pia Kirchhoff et Oliver von Bodenstein ? Après tout, même si l'on n'a jamais retrouvé les corps, l'affaire Sartorius est réglée depuis belle lurette. Certes, mais le jour même de la levée d'écrou de Tobias, la mère de celui-ci, qui avait divorcé d'Helmut après que celui-ci eût bradé la fameuse pièce de terre tant convoitée dont nous parlions plus haut et qui faisait partie de sa dot, est attaquée en pleine rue et jetée de la passerelle d'un pont sur la voie autoroutière, tombant, heureusement pour elle, sur une voiture dont le conducteur a moins de chance puisqu'il décède d'une crise cardiaque sous le choc. L'accident s'est répercuté sur les voitures qui suivaient et, bien sûr, il y a beaucoup de blessés. Pia et Bodenstein, ayant appris que la victime, actuellement dans un coma profond, s'était appelée Rita Sartorius avant de reprendre son nom de jeune fille, Cramer, viennent donc fourrer leur nez à Altenhain, avant tout pour demander à Helmut s'il connaissait des ennemis à son ex-épouse, ensuite parce que, bien sûr, ils ne sont pas sans établir un rapport entre la libération de Tobias et l'agression de sa mère.
Roman de plus de cinq cent pages (517, très précisément, en format poche), "
Blanche-Neige doit mourir" se lit de bout en bout d'une seule haleine. Les non-germanophones auront peut-être un problème au niveau des patronymes des personnages, bien entendu, mais enfin, ils peuvent toujours prendre des notes et ce n'est pas plus difficile qu'avec un roman russe, japonais ou chinois. L'ambiance est lourde, inquiétante, glauque à souhait et le lecteur sent d'instinct que certains personnages ne disent pas tout ce qu'ils savent. Pia et Bodenstein le flairent eux aussi sans peine et n'en mettent que plus d'acharnement à s'enfoncer dans cette forêt aux ramifications aussi profondes que tordues qu'était, si longtemps sans qu'on le sût, l'Affaire Sartorius. Avec le lecteur, ils vont de faux témoignage en découverte, de mensonge avéré en silence complice, de détails résolument gommés en détails oubliés mais tout aussi révélateurs ...
Les personnages positifs, dirai-je, , sont particulièrement attachants. Quant à leurs contraires, ils sont (surtout pour les femmes et pour la plus âgée d'entre elles en particulier), d'un machiavélisme rare et qui fascine. Neuhaus parvient néanmoins à éviter le piège du manichéisme, peut-être même avec plus d'aisance que dans "
Flétrissure" (mais dans ce dernier ouvrage, le contexte qui se référait au nazisme était sans doute plus lourd à traiter, surtout pour une Allemande ). En bref, "
Blanche-Neige Doit Mourir" est un roman qui tient toutes les promesses qu'annonce son titre, à la fois poétique et inquiétant. Ne manquez pas de le lire. D'autant que se mêle à tout cela la découverte, par Bodenstein, que son épouse bien aimée, Cosima, avec laquelle il était mariée depuis vingt ans, le trompe avec un homme plus jeune et que cela joue sur les livres suivants. ;o)