Ma mère était Guadeloupéenne. L'océan, elle lui tournait le dos. Elle disait que la mer c'est de là que vient le malheur. Parce que c'est par là qu'on est tous arrivés, sur les bateaux des négriers.
Dégoûtée des hommes, elle pensa sans le dire. Et surtout de ces métros qui arrivaient avec leurs gros salaires, qui promettaient la lune à la première venue, avant de réaliser qu'ils voulaient autre chose. De parler de différence culturelle trop importante, de crise de la quarantaine, de tous ces trucs de Blancs qu'ils étaient les seuls à comprendre.
Mais il n'avait pas peur. Il savait qu'il ne risquait rien. Que la forêt en fin de compte, était plus acceuillante que la ville. Qu'aucun félin ne s'aventurerait à attaquer un homme adulte. Que les serpents, mygales et autres scolopendres étaient rares, ne faisaient plus fuir que les Blancs. Le mythe de l'enfer vert qu'ils adoraient entretenir.
Lang a oun bon baton, comme il disait lui-même : les paroles peuvent frapper autant qu'un bâton.
Lui-même, avant d'être muté ici, savait à peine placer le département sur une carte. La fusée, le bagne, l'enfer vert et les bestioles, voilà à quoi se résumait l'Amazonie française vue de Paris.
« La mort d’une mule, tuée par une autre mule. Une histoire de jeunes en difficulté financière, rien de plus. Un meurtre tragique rappelant le triste quotidien d’une partie de la jeunesse guyanaise. De cette jeunesse si nombreuse qui se cherchait un avenir en dehors du système. »
Les deux gendarmes le savaient, le réseau du trafic de cocaïne était cloisonné. En Guyane, les recruteurs comme Steven et les mules. Au Suriname, ceux qui réceptionnaient la marchandise venue des pays producteurs, la conditionnaient et la remettaient aux passeurs. Et à Paris ceux qui les attendaient à l'aéroport pour récupérer la poudre puis la revendre. Ça faisait du monde.
La fusée, le bagne, l’enfer vert et les bestioles, voilà à quoi se résumait l’Amazonie française vue de Paris. Et un peu d’orpaillage depuis quelques années, pour faire sensation.
Cela faisait deux ans qu'Anato était arrivé en Guyane, qu'il avait commencé à renouer avec son pays d'origine. Avec ce département français dont il ne connaissait rien sinon ce que ses parents avaient bien voulu lui raconter. Un territoire gigantesque couvert par la forêt, un fleuve immense, le Maroni. Et un peuple : les Ndjukas. Ce qu'il savait se résumait à ça, en fin de compte. En deux ans, il avait appris plus qu'en trente et réalisé l'ampleur de son ignorance. Et compris surtout une chose : riche de son histoire, de ses populations, de ses langues, la Guyane est complexe. On ne l'apprivoise pas, aucune description ne peut l'enfermer.
On ne sait jamais ce qu’il y a dans la cervelle d’une personne âgée, il songea. Combien de souvenirs accumulés les années passant, qui le plus souvent s’éteignent avec lui.