Entre deux mondes

Il était de retour, aujourd'hui, sur ces terres entre deux mondes où les dunes avaient retrouvé leur calme. Plus de migrants, plus d'humanitaires, comme si d'un coup de baguette magique, le problème avait été résolu. Probablement le plus bel enfumage de la décennie.

Sous ses doigts, cette partition de cicatrices racontait la vie de l'enfant.

Arrivé en pleine nuit dans le centre-ville, sac sur le dos, il ne trouva personne à qui demander son chemin. (...) Avec un mince espoir, il lança l’application Google Maps sur son téléphone et entra, comme une banale adresse : « la Jungle ». Google lui répondit alors : « Jungle de Calais, camp de migrants, à 4,2 km de votre position actuelle, noté 4,5/5 étoiles, 2123, rue des Garennes. » Il ne chercha pas à comprendre comment on pouvait noter un camp de migrants comme on le ferait pour un restaurant, et se mit à suivre, avec les dernières forces qui lui restaient, le chemin tracé en rouge sur la carte.
(Chapitre 16)

Les enfants heureux doivent imaginer leurs monstres, planqués sous leur lit. Au cours de sa vie, Kilani en avait affronté de nombreux, et ceux-là ne se cachaient pas.

Plusieurs mains se levèrent dans des bonjours amicaux. La plupart d'entre eux n'étaient que des gamins et le plus adulte devait avoir trente ans, au maximum. Musique du monde, clopes roulées et vêtements africains colorés, il fallait connaître la radicalité de leurs actions et de leurs coups de force pour ne pas simplement voir en eux un groupe de hippies en quête de communion avec la nature, sur fond de développement personnel et de karma apaisé.

La somme de tous les obstacles est intimidante, je suis d'accord. Mais si on les prend un par un, rien n'est insurmontable.

- Vous croyez aux fantômes, Passaro ?
- Je ne me suis jamais posé la question. Vous parlez des esprits qui hantent les maisons ?
- Exact. Coincés entre la vie terrestre et la vie céleste. Comme bloqués entre deux mondes. Ils ( les migrants ) me font penser à eux. Des âmes, entre deux mondes.

L’Angleterre s'est refermée, contractée même, comme tous les pays riches, qui n'ont qu'une seule trouille, c'est de voir l'autre partie du monde venir se décrotter les pompes sur leur paillasson.

Ce Syrien et cet enfant. Les drames qui les avaient détruits et réunis. Leurs familles, quelque part sur la planète, chacun à la recherche de chacun. Les horreurs vécues. Leur solitude et leurs espoirs. La force et le courage de continuer pourtant.

La somme de tous les obstacles est intimidante, je suis d'accord. Mais si on les prend un par un, rien n'est insurmontable.