Parmi mes amies se cachent des âmes sadiques, des dealeuses de frissons. Je pense par exemple à celle qui m'a prêtée d'autorité "
Entre deux mondes" (j'ai cru que je ne m'en remettrai jamais!) puis qui a déposé "
Surface" entre mes mains. Celle-là, parce qu'elle est accro à Norek, veut sans doute transformer l'essai, me rendre accro aussi. Sadique, je vous dis.
C'est comme ça que je me suis retrouvée un soir à me plonger dans "
Surface".
C'est pour ça qu'au matin, j'étais affublée de cernes à faire pâlir d'envie les as de l'insomnie.
Vous avez dit "sadique"?
Capitaine à la brigade des stup, Noémie est une héroïne: courageuse, efficace, réfléchie qui mériterait tous les éloges. Hélas, les temps sont durs pour les héros!.. Au terme d'une intervention particulièrement musclée, la jeune femme se retrouve complètement défigurée. L'homme lui a tiré en plein visage et ne l'a pas raté. Alors qu'après de multiples opérations, Noémie tente de se réconcilier avec elle-même et d'apprivoiser sa gueule cassée, ses supérieurs ne trouvent rien de mieux à faire que de la muter au fin fond de l'Aveyron. Les gueules cassées, ce n'est bon ni pour l'image de marque du 36 ni pour le moral des troupes, voyez-vous.
La jeune femme atterrit donc dans le commissariat perdu, paumé même, d'un petit village aveyronnais, Avalone, et tente, tant bien que mal de s'habituer au silence et au paysage, à la calme beauté du lac qu'elle peut contempler de ses fenêtres, à sa nouvelle équipe et aux villageois.
Elle aurait pu mourir d'ennui ou bien craquer mais c'est alors que remonte à la
surface du lac, enfermé dans un fût, le cadavre d'un enfant disparu vingt-cinq and plus tôt, en 1994.
Noémie, devenue No, et ses hommes vont se lancer sur la piste du meurtrier et pour ce faire, ils vont devoir remonter le temps; ressusciter le premier Avalone, village englouti sous les eaux et que tout le monde ici semble vouloir oublier; percer les secrets et faire éclater les non-dits, les rancoeurs qui hantent encore les âmes de ce petit bout de terre.
Outre que j'ai un faible prononcé pour les intrigues policières à la "cold case" et qui font la part belle au passé, outre aussi ce mélange de tristesse, de révolte et de fascination qui me saisit quand je songe à tous ces villages que le progrès a englouti,
Olivier Norek est un virtuose et "
Surface" une partition brillamment composée.
L'auteur parvient à y ausculter avec talent les ombres et les secrets d'un territoire rural qui a beaucoup à dire et à nous offrir une intrigue haletante et fort bien menée.
Pas de temps mort dans sa construction, pas de boursouflures ne de mots en trop. le style est sobre fluide, limpide et au service d'un rythme exigeant, cadencé comme les battements du coeur. Il manque un battement dans les moments de tension folle, s'emballe ensuite et tachycarde comme un fou quand l'intrigue avance et se révèle, ralentit quand l'angoisse est si forte qu'il risque de lâcher. Et pendant ce temps, les mots coulent et filent. Sang d'encre.
Bien entendu, la chute est spectaculaire. Bien sûr, on tombe des nues, mais c'est tellement cohérent, tellement bien pensé, ce puzzle dont on retrouve l'ultime pièce dans les toutes dernières pages. Et c'est bon!
Enfin au-delà du plaisir provoqué par l'intrigue, je crois que peu-à-peu j'identifie ce que j'aime chez Norek: l'hyperréalisme dont il fait preuve dans l'écriture et qui d'emblée rend ses histoires captivantes et si proches de nous -malgré tout- et surtout son humanité et la densité émotionnelle dont il pare ses personnages. Loin de n'être que des types un peu désincarnés -ce qu'on trouve parfois dans certains romans noirs-, les siens sont incroyablement complexes, riches (même les salauds, même les pourris) quand ils ne sont pas poignants à vous tirer des larmes, à vous déchirer le coeur.
Il y a bien une âme sadique parmi mes amies et je crois qu'elle a réussi, elle a transformé l'essai.
Olivier Norek est en train de se faire une petite place aux côtés d'
Agatha Christie, de
Fred Vargas, de
Jean-Claude Izzo et de Victor del Arbol dans mon panthéon noir (petite la place, mais quand même).
Elle a, je crois, dans sa bibliothèque d'autres ouvrages du sieur Norek: j'espère bien qu'elle me les prêtera.
Dealeuse de polars.