Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome initialement parue sous forme de graphic novel en 1988. Elle met en scène le Shadow (Kent Allard / Lamont Cranston), personnage créé en 1930 par
Walter B. Gibson.
La première page situe l'action en avril 1941 et introduit les principaux personnages. Il y a les fidèles compagnons du Shadow : Harry Vincent, Margo Lane, Shrevvy et Burbank. Seconde guerre mondiale oblige, il y a également
Adolf Hitler (pour 2 courtes apparitions),
Heinrich Himmler, Josef Goebbels et Rudolf Hess. Mais les principaux nazis de l'histoire sont des personnages fictifs : Heimlich Baur (astrologue personnel du Führer), Edward Franz et Friedrich Wolf (colonel des SS).Le 13 avril 1941, Gretchen Baur fend la foule de Times Square en courant pour échapper à un groupe de 3 mystérieuses personnes. Elle croise Harry Vincent qui accepte de la protéger. Après une brève course-poursuite sur une scène music-hall Vincent la fait monter dans un taxi où l'attend Margo Lane. En fait l'équipe du Shadow suivait Gretchen Baur depuis quelques jours en attendant le moment propice pour agir. Elle est la fille de l'astrologue personnel d'Hitler et Friedrich Wolf souhaite la kidnapper pour disposer d'un levier sur le Führer. La suite de l'histoire implique un parti politique américain sympathisant des nazis, un sous-marin, un autogyre, une femme torturée et défigurée, une attaque aérienne, un duel à l'épée, le Girasol du Shadow... et la campagne de Russie (et bien d'autres choses encore).
La première chose qui saut aux yeux est le classicisme de la forme de cette histoire. Dennis O'Neil et
Mike Kaluta (co-scénaristes) déroulent l'intrigue dans l'ordre chronologique, en prenant bien soin d'expliquer chaque point historique essentiel, sans bulles de pensée, sans violence exacerbée (mais avec de la violence quand même), avec des scènes d'action spectaculaire, sans être ahurissante, sans psychologie approfondie (le lecteur ne perçoit les personnages que par leurs actes), avec un méchant très méchant. Les illustrations participent du même registre : posées, claires, détaillées, historiquement précises, sans effets infographiques renversants. Ce choix donne un caractère intemporel à cette histoire.
Et puis, petit à petit, il apparaît que le thème central de l'histoire est la prise de décision de lancer la campagne de Russie qui s'incarnera sous la forme de l'opération Barbarossa. O'Neil et Kaluta font s'incarner l'esprit des États-Unis dans le personnage du Shadow qui relève plus du deus ex-machina que d'un véritable individu. Et ce qu'ils disent de l'influence de l'Amérique sur l'invasion de la Russie n'est ni plus ni moins que le sacrifice des russes au profit de la survie des anglais.
Avec cette approche cynique en tête, il apparaît que, comme dans tout bon récit classique, les auteurs ont glissé plusieurs thèmes sous-jacents dans ce récit d'aventure. Il est vrai que Kaluta n'est pas le premier dessinateur venu (il a fait partie du Studio de 1975 à 1979, groupe d'illustrateurs comprenant également
Bernie Wrightson,
Barry Windsor Smith et Jeff Jones), et
Russ Heath (l'encreur) est un professionnel de longue date. Ainsi au fil des pages, les détails historiques ne se limitent pas une vieille voiture de collection par ci, et des costumes d'époque pour faire genre. Kaluta et Heath apportent également grand soin à la reproduction de Times Square en 1941, aux spectacles vantés sur les affiches et les marquises, à la mode de l'époque, aux armes à feu, à Berlin (la Porte de Brandebourg par exemple), etc. La mise en page reste très sage, à base exclusivement de rectangle, mais elle sert admirablement l'histoire sans pour autant tirer la couverture à elle. du coup, chaque scène semble couler naturellement, les moments trop classiques n'attirent pas l'oeil (l'image des amoureux s'embrassant en surimpression au dessus de l'hydravion en train d'amerrir) et les moments plus spectaculaires laissent le choix au lecteur de s'y attarder ou non selon sa sensibilité (le sauvetage par autogyre au dessus d'un feu d'artifice).
Coté scénario, ces aventures rapides et denses cachent le même regard précis et cynique sur la nature humaine, sur ses bassesses et ses laideurs, et sur le mode de prise de décision d'une opération telle que Barbarossa.
Le Shadow a souvent été adapté en comics. O'Neill et Kaluta avait déjà réalisé une demi-douzaine d'épisodes ensemble en 1973 pour DC Comics. Cette même maison d'édition avait demandé à
Howard Chaykin de transposer le personnage à l'époque actuelle dans une série d'une ironie mordante Blood and Justice. Après d'autres adaptations, Kaluta avait de nouveau écrit des scénarios pour Dark Horse Comics (à commencer par In the Coils of Leviathan en 1993, ce qui coïncidait avec la sortie du film The shadow de 1994, avec
Alec Baldwin. Et je ne saurais trop vous recommander les autres comics de
Mike Kaluta tels que Madame Xanadu 2 - Exodus Noir (pour les illustrations) ou Starstruck (scénario et dessins).