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Critique de HordeDuContrevent


« le sens n'est pas très important. Ce qui l'est, c'est le récit caché au fond des mots ».

J'ai essayé, tout au long de ma lecture, de le faire remonter ce sens caché, de le capter, de le comprendre. J'ai tellement essayé que finalement ma lecture ne fut que ça : rechercher le message profond de l'auteure. Touchée sincèrement par certaines trouvailles littéraires poétiques de l'auteure japonaise, plume qui m'avait déjà séduite dans son livre « Les tendres plaintes », mais vraiment déconcertée par cette histoire. Et pourtant, je suis habituée aux histoires décalées, aux pas de côté, aux livres originaux. Mais la cristallisation n'a pas vraiment eu lieu, cherchant tout du long le sens caché sans parvenir à lâcher prise et à me laisser emportée par le récit. Observatrice seulement. le fond et la forme n'ont pas fusionné en moi pour en faire un récit captivant dans lequel l'un se fond dans l'autre au point de ne plus être intellectualisés.

Roman sur la disparition, sur l'adaptation, sur la résistance, sur l'inéluctabilité de certaines destinées, sur le rôle des souvenirs dans notre humanité, « Cristallisation secrète » avait tout pour me plaire. Sans parler de sa couverture, magnifique, et de son titre, envoutant.

Nous sommes sur une île, manifestement coupée du monde. Une jeune romancière assiste impuissante à la disparition progressive d'objets. Les matins où ces disparitions ont lieu, l'air semble vibrer autrement et il faut un petit moment aux habitants de l'île, alors aux aguets, pour comprendre ce qui a disparu. Chapeaux, bateaux, roses, oiseaux, calendriers, parfums, entre autres, disparaissent peu à peu. Pour la majorité des habitants, se produit un processus de disparition en eux-mêmes, les souvenirs liés à ces objets plongeant alors dans le marais noir de leur coeur et laissant en eux comme une cavité. Les gens se remplissent peu à peu de vide. Ils n'éprouvent plus rien par rapport à ces objets, ne savent plus comment ces objets s'appellent, n'ont plus les sensations liées comme leurs odeurs, leur beauté, leur émotion, leur magie, leur toucher. Après un petit temps d'adaptation, les habitants vont donc naturellement brûler les objets qu'ils ont en leur possession.
Nul émoi et nulle révolte donc car le besoin de l'objet a disparu et les souvenirs se sont effacés. Une minorité de personnes cependant ne subissent pas ces disparitions (cela semble provenir d'une explication génétique nous explique l'auteure) : ils gardent les souvenirs de ces objets. Ces « rebelles » sont traqués par la police secrète qui doit faire respecter les disparitions (on ne comprend pas trop pourquoi cette police est d'un tel autoritarisme d'ailleurs ; L'allégorie de ce régime totalitaire m'a semblé exagérée et surfait je dois avouer) pour être emmenés en un lieu mystérieux. Certains arrivent à se cacher des traqueurs de souvenirs.
La romancière va justement cacher, dans une pièce secrète, son éditeur, un certain R. qui tentera, en vain, de lui raviver des souvenirs d'objets, de remuer le marais noir enfoui en son coeur. « Mon coeur est devenu comme un ver à soie. Un ver à soie qui somnole dans son cocon », R. ne réussira pas à la libérer et à lui rendre sa légèreté de papillon.

« Les souvenirs ne se contentent pas d'augmenter, ils changent avec le temps. Parfois certains disparaissent. Mais d'une manière fondamentalement différente de l'anéantissement qui vous tombe dessus à chaque disparition.
– de quelle manière est-ce différent ? Questionnai-je en caressant mes ongles.
– Mes souvenirs ne sont jamais détruits définitivement comme s'ils avaient été déracinés. Même s'ils ont l'air d'avoir disparu, il en reste des réminiscences quelque part. Comme des petites graines. Si la pluie vient à tomber dessus, elles germent à nouveau. Et en plus même si les souvenirs ne sont plus là, il arrive que le coeur en garde quelque chose. Un tremblement, une joie, une larme, vous voyez ? ».

J'ai beaucoup aimé la relation entre la narratrice et un vieux monsieur, ces deux là vont devenir très proches. Les relations avec les personnes âgées, dès lors que respect, tendresse, et sincérité sont exprimés à leur encontre, ont toujours le don de beaucoup m'émouvoir. J'ai été impressionnée par la disparition des roses dont les pétales recouvrent le fleuve saturant pendant quelques heures l'air de leurs effluves, et marquée par la disparition des livres donnant lieu à de grands feux, autodafés rappelant de tristes souvenirs. La narratrice semble se satisfaire de cette disparition alors même qu'elle est romancière. Je crois que sa nature placide m'a un peu gênée. Certes on sent qu'elle se pose plus de questions que les autres habitants, mais elle accepte aussi la disparition des romans avec beaucoup de facilité. Je n'ai pas été convaincue par cette acceptation si rapide.

Certains chapitres du livre sont dédiés à l'histoire que la romancière est en train d'écrire. Une histoire là encore sur le thème de la disparition progressive, sur la soumission, très impressionnante, dont la fin, tout comme la réalité, semble inéluctable. Elle s'insère avec subtilité au récit.

Questionnement sur l'adaptation de l'homme à toutes les situations même les plus extrêmes (étonnant de voir comment les gens s'adaptent naturellement à la disparition progressive de leur propre corps), sur la justesse de la révolte qui sort vainqueur de ce récit contrairement à la majorité qui suit aveuglément et fait confiance jusqu'à sa propre disparition, sur le rôle et l'importance d'entretenir les souvenirs, fondement même de notre humanité…la façon d'appréhender ce roman est multiple mais pas captivante j'ai trouvé. C'est un livre qui met mal à l'aise certes mais il n'arrive pas à être passionnant au point de nous faire oublier le message que veut distiller l'auteure.

Finalement, plus que le récit et le message de ce livre, c'est bien la plume de Yoko Ogawa qui m'a charmée. Elle sait rendre compte de sensations infimes, de sons, de perceptions, avec beaucoup d'élégance, de subtilité, d'imagination et de beauté.

« Aucun pétale n'était encore flétri. Bien au contraire, sans doute à cause de la fraîcheur de l'eau, ils paraissaient encore plus frais et brillants.
Et leur parfum, mélangé à la brume matinale qui flottait au-dessus de la rivière, était presque irrespirable. Il n'y avait que des pétales à perte de vue. En remontant mes mains, j'avais aperçu pendant un instant la surface de l'eau, mais d'autres pétales étaient aussitôt venus les recouvrir. On aurait dit qu'ils descendaient vers la mer, comme hypnotisés.
J'ai replongé dans le courant mes mains couvertes de pétales. Il y en avait de toutes sortes : au bord ondulant comme des fronces, à la couleur pâle ou foncée, d'autres qui étaient encore attachés au calice. Ceux-là s'accrochaient un moment au rebord de briques du lavoir, avant d'être entrainés à nouveau par le courant où on ne les distinguait plus des autres ».

Un livre original, superbement écrit, sur les effets insidieux de l'effacement des souvenirs (cette partie-là m'a beaucoup plu), sur les risques de suivre aveuglément les diktats d'un régime totalitaire (cet aspect-là m'a paru plus artificiel), avec lequel je suis restée quelque peu en retrait. M'est d'avis que la cristallisation secrète d'un livre c'est précisément de savoir distiller des messages sans même que le lecteur ne s'en rende compte. C'est justement ce que je reproche au livre. Subjuguée en revanche par une plume d'une belle élégance.
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