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« le sens n'est pas très important. Ce qui l'est, c'est le récit caché au fond des mots ».

J'ai essayé, tout au long de ma lecture, de le faire remonter ce sens caché, de le capter, de le comprendre. J'ai tellement essayé que finalement ma lecture ne fut que ça : rechercher le message profond de l'auteure. Touchée sincèrement par certaines trouvailles littéraires poétiques de l'auteure japonaise, plume qui m'avait déjà séduite dans son livre « Les tendres plaintes », mais vraiment déconcertée par cette histoire. Et pourtant, je suis habituée aux histoires décalées, aux pas de côté, aux livres originaux. Mais la cristallisation n'a pas vraiment eu lieu, cherchant tout du long le sens caché sans parvenir à lâcher prise et à me laisser emportée par le récit. Observatrice seulement. le fond et la forme n'ont pas fusionné en moi pour en faire un récit captivant dans lequel l'un se fond dans l'autre au point de ne plus être intellectualisés.

Roman sur la disparition, sur l'adaptation, sur la résistance, sur l'inéluctabilité de certaines destinées, sur le rôle des souvenirs dans notre humanité, « Cristallisation secrète » avait tout pour me plaire. Sans parler de sa couverture, magnifique, et de son titre, envoutant.

Nous sommes sur une île, manifestement coupée du monde. Une jeune romancière assiste impuissante à la disparition progressive d'objets. Les matins où ces disparitions ont lieu, l'air semble vibrer autrement et il faut un petit moment aux habitants de l'île, alors aux aguets, pour comprendre ce qui a disparu. Chapeaux, bateaux, roses, oiseaux, calendriers, parfums, entre autres, disparaissent peu à peu. Pour la majorité des habitants, se produit un processus de disparition en eux-mêmes, les souvenirs liés à ces objets plongeant alors dans le marais noir de leur coeur et laissant en eux comme une cavité. Les gens se remplissent peu à peu de vide. Ils n'éprouvent plus rien par rapport à ces objets, ne savent plus comment ces objets s'appellent, n'ont plus les sensations liées comme leurs odeurs, leur beauté, leur émotion, leur magie, leur toucher. Après un petit temps d'adaptation, les habitants vont donc naturellement brûler les objets qu'ils ont en leur possession.
Nul émoi et nulle révolte donc car le besoin de l'objet a disparu et les souvenirs se sont effacés. Une minorité de personnes cependant ne subissent pas ces disparitions (cela semble provenir d'une explication génétique nous explique l'auteure) : ils gardent les souvenirs de ces objets. Ces « rebelles » sont traqués par la police secrète qui doit faire respecter les disparitions (on ne comprend pas trop pourquoi cette police est d'un tel autoritarisme d'ailleurs ; L'allégorie de ce régime totalitaire m'a semblé exagérée et surfait je dois avouer) pour être emmenés en un lieu mystérieux. Certains arrivent à se cacher des traqueurs de souvenirs.
La romancière va justement cacher, dans une pièce secrète, son éditeur, un certain R. qui tentera, en vain, de lui raviver des souvenirs d'objets, de remuer le marais noir enfoui en son coeur. « Mon coeur est devenu comme un ver à soie. Un ver à soie qui somnole dans son cocon », R. ne réussira pas à la libérer et à lui rendre sa légèreté de papillon.

« Les souvenirs ne se contentent pas d'augmenter, ils changent avec le temps. Parfois certains disparaissent. Mais d'une manière fondamentalement différente de l'anéantissement qui vous tombe dessus à chaque disparition.
– de quelle manière est-ce différent ? Questionnai-je en caressant mes ongles.
– Mes souvenirs ne sont jamais détruits définitivement comme s'ils avaient été déracinés. Même s'ils ont l'air d'avoir disparu, il en reste des réminiscences quelque part. Comme des petites graines. Si la pluie vient à tomber dessus, elles germent à nouveau. Et en plus même si les souvenirs ne sont plus là, il arrive que le coeur en garde quelque chose. Un tremblement, une joie, une larme, vous voyez ? ».

J'ai beaucoup aimé la relation entre la narratrice et un vieux monsieur, ces deux là vont devenir très proches. Les relations avec les personnes âgées, dès lors que respect, tendresse, et sincérité sont exprimés à leur encontre, ont toujours le don de beaucoup m'émouvoir. J'ai été impressionnée par la disparition des roses dont les pétales recouvrent le fleuve saturant pendant quelques heures l'air de leurs effluves, et marquée par la disparition des livres donnant lieu à de grands feux, autodafés rappelant de tristes souvenirs. La narratrice semble se satisfaire de cette disparition alors même qu'elle est romancière. Je crois que sa nature placide m'a un peu gênée. Certes on sent qu'elle se pose plus de questions que les autres habitants, mais elle accepte aussi la disparition des romans avec beaucoup de facilité. Je n'ai pas été convaincue par cette acceptation si rapide.

Certains chapitres du livre sont dédiés à l'histoire que la romancière est en train d'écrire. Une histoire là encore sur le thème de la disparition progressive, sur la soumission, très impressionnante, dont la fin, tout comme la réalité, semble inéluctable. Elle s'insère avec subtilité au récit.

Questionnement sur l'adaptation de l'homme à toutes les situations même les plus extrêmes (étonnant de voir comment les gens s'adaptent naturellement à la disparition progressive de leur propre corps), sur la justesse de la révolte qui sort vainqueur de ce récit contrairement à la majorité qui suit aveuglément et fait confiance jusqu'à sa propre disparition, sur le rôle et l'importance d'entretenir les souvenirs, fondement même de notre humanité…la façon d'appréhender ce roman est multiple mais pas captivante j'ai trouvé. C'est un livre qui met mal à l'aise certes mais il n'arrive pas à être passionnant au point de nous faire oublier le message que veut distiller l'auteure.

Finalement, plus que le récit et le message de ce livre, c'est bien la plume de Yoko Ogawa qui m'a charmée. Elle sait rendre compte de sensations infimes, de sons, de perceptions, avec beaucoup d'élégance, de subtilité, d'imagination et de beauté.

« Aucun pétale n'était encore flétri. Bien au contraire, sans doute à cause de la fraîcheur de l'eau, ils paraissaient encore plus frais et brillants.
Et leur parfum, mélangé à la brume matinale qui flottait au-dessus de la rivière, était presque irrespirable. Il n'y avait que des pétales à perte de vue. En remontant mes mains, j'avais aperçu pendant un instant la surface de l'eau, mais d'autres pétales étaient aussitôt venus les recouvrir. On aurait dit qu'ils descendaient vers la mer, comme hypnotisés.
J'ai replongé dans le courant mes mains couvertes de pétales. Il y en avait de toutes sortes : au bord ondulant comme des fronces, à la couleur pâle ou foncée, d'autres qui étaient encore attachés au calice. Ceux-là s'accrochaient un moment au rebord de briques du lavoir, avant d'être entrainés à nouveau par le courant où on ne les distinguait plus des autres ».

Un livre original, superbement écrit, sur les effets insidieux de l'effacement des souvenirs (cette partie-là m'a beaucoup plu), sur les risques de suivre aveuglément les diktats d'un régime totalitaire (cet aspect-là m'a paru plus artificiel), avec lequel je suis restée quelque peu en retrait. M'est d'avis que la cristallisation secrète d'un livre c'est précisément de savoir distiller des messages sans même que le lecteur ne s'en rende compte. C'est justement ce que je reproche au livre. Subjuguée en revanche par une plume d'une belle élégance.
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Sur une île, une jeune romancière assiste impuissante à la disparition d'objets. La nature de ces disparitions est étrange et imprévisible. Ils s'en vont quelque part dans un lieu d'oubli, ne laissant derrière eux qu'une cavité. Les habitants en éprouvent d'abord un tremblement d'émotion, puis, ils s'adaptent, ils oublient jusqu'au souvenir de cet objet, jusqu'au mot qui le désigne. Ainsi, nul ne se révolte, car le besoin de l'objet s'est effacé.

Pourtant certains d'entre eux n'oublient pas, ils ne subissent pas les effets de cette tyrannie. Ils sont alors traqués par la police secrète. La romancière ne fait pas partie de ceux qui gardent leur mémoire intacte ; celle des odeurs, des sensations, de la beauté et de la magie de ces objets disparus.

Mais alors, comment va-t-elle pouvoir continuer la narration de son roman si sa mémoire se rétrécit, si les mots s'échappent un à un ? L'histoire de son roman est magnifiquement imbriquée dans celle qu'on est en train de lire. On comprend alors ce qu'il adviendra des deux histoires, la fin est inéluctable.

C'est un univers de calme oppressant, dans ce lieu où les hommes deviennent marionnettes, où la vie se meurt à petit feu, dans l'indifférence la plus totale. Quand il n'y a plus d'oiseaux, plus de roses, plus de calendriers, plus de printemps, plus de livres. Quand les hommes n'ont plus de mots pour traduire leurs émotions, qu'elles restent au fond du marais, sans jamais voir la lumière, avec à peine un frémissement. Peut –on encore dire que ces hommes sont encore vivants ? Sont-ils encore des hommes ?

Un roman angoissant qui décortique nos peurs les plus intenses. La disparition, l'oubli, l'impuissance, la mort. Où vont nos souvenirs, nos mots, nos émotions, lorsque nous mourons ? Qui pourra les recueillir ?

Une métaphore des régimes totalitaires, de celle qui écrase l'homme en essayant d'effacer ses mots, sa mémoire. En brûlant les livres et finissant par brûler les hommes.

Une écriture qui économise les mots car ils sont si précieux, qui garde les meilleurs, les plus imagés, pour traduire cette ambiance effrayante de l'effacement, de l'oubli.
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Quel régal que ce Cristallisation secrète de Yoko Ogawa ! Décidément, les écrivains japonais contemporains réussissent à m'entraîner dans leur imaginaire. J'appréciais déjà particulièrement celui de Murakami, cette auteure que je découvre m'a tout autant convaincu. Son roman est une très belle manière d'aborder des sujets comme le totalitarisme et la fabrique du consentement que ce type de régime met en oeuvre pour contrôler les populations. Les ingrédients sont toujours identiques, mais dosés différemment, ils participent d'une recette commune fondée sur la peur, des gardes prétoriennes impitoyables, la manipulation de l'information qui met sous tutelle les cerveaux, l'acceptation ou la résignation.
Sa narratrice peut s'apparenter à une Anne Franck nippone qui nous plonge dans le quotidien de son île étrange où la matérialité du réel s'efface progressivement pour ne laisser survivre qu'un monde formaté à l'aune des directives gouvernementales, pour ne proposer comme refuge qu'un univers intérieur dans lequel se cachent les derniers réfractaires à l'ordre dominant.
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La narratrice, dont les parents sont morts, vit sur une île où se passent des événements étranges. Au fil des jours, des choses disparaissent, les oiseaux, les roses ... quand ces choses disparaissent toute la population doit se débarrasser de celles qui sont en leur possession ; automatiquement ils oublient jusqu'à leurs existences et leurs fonctions sauf certaines personnes qui gardant tout en mémoire sont traquées par la police secrète, les chasseurs de mémoires. La narratrice, romancière, cachera son éditeur qui fait partie de ceux qui gardent la mémoire, ceux qui se souviennent, ceux qui n'oublient rien. Un roman étrange dans lequel l'auteure évoque les peurs provoquées par les régimes totalitaires et les effets insidieux d'effacement des souvenirs.
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Imaginez un monde où tout à coup, vous vous réveillez le matin, l'air est ‘plus rugueux', et des objets ont disparu. Les parfums, ou les roses, les oiseaux ou encore...quelle horreur ! les livres.

Eh bien, c'est ce qu'il se passe dans cette histoire inventée par la japonaise Yôko Ogawa. Histoire très bizarre, parce qu'il m'a fallu du temps pour comprendre, (enfin, c'est un grand mot !) ces « disparitions ». Est-ce à dire que les objets se volatilisent tout à coup ? Non ! En fait, les habitants de cette île, soudainement, ne ressentent plus rien face à ces choses. Et ils se sentent donc obligés de s'en débarrasser en les brûlant, en les jetant à l'eau...
Cela donne lieu donc à de grands autodafés, en ce qui concerne les livres notamment.
Manifestement, la majorité de la population se coule dans ce moule, y compris l'héroïne, qui est romancière ( !).
Mais certains refusent ! Et ils sont donc poursuivis et traqués par la police secrète : nous voici dans une allégorie d'un régime totalitaire. Si l'héroïne se laisse faire, obéit, elle n'en cache pas moins son éditeur chez elle, dans une chambre secrète.
Et les disparitions continuent, régulièrement...

Ce livre fait réfléchir, je ne peux dire qu'il soit extrêmement captivant, mais il met mal à l'aise.
D'abord, je me suis demandé comment je réagirais dans un régime pareil, où la population doit cesser de vivre par rapport au passé, sinon le souvenir des jours heureux la hanterait et la pousserait à se rebeller ; un régime totalitaire aussi marqué par la grisaille (ah oui, le printemps, aussi, a disparu ! ) et la difficulté de se débrouiller au quotidien.

Et puis on s'interroge sur la permanence des souvenirs, et donc sur la permanence du coeur. Si les souvenirs disparaissent, si toutes les choses auxquelles on tient s'en vont, parce qu'on est obligé de s'en débarrasser, est-ce qu'on en est moins humain ? La narratrice est perpétuellement angoissée par cette question. En voici d'ailleurs un extrait, lors d'un dialogue avec son éditeur, qui lui, refuse de se séparer des objets et donc des souvenirs :
« - Quelle impression cela fait de ne rien perdre de ce que l'on a au fond du coeur ?
- C'est une question difficile, me dit-il.
- Est-ce que cela ne serre pas le coeur, si fort qu'on en est mal à l'aise ?
- Non, il ne faut pas s'inquiéter de cela. le coeur n'a pas de contour, pas de fond non plus. C'est pourquoi il est capable d'accueillir n'importe quelle forme pouvant descendre à une profondeur infinie. C'est pareil pour les souvenirs, vous savez.
- Les choses qui ont disparu de l'île jusqu'à présent sont toutes restées complètement au fond de vous, n'est-ce pas ?
- Complètement, je ne sais pas. Parce que les souvenirs ne se contentent pas d'augmenter, ils changent avec le temps. Parfois certains disparaissent. Mais d'une manière fondamentalement différente de l'anéantissement qui vous tombe dessus à chaque disparition.
- de quelle manière est-ce différent ?
- Mes souvenirs ne sont jamais détruits définitivement comme s'ils avaient été déracinés. Même s'ils ont l'air d'avoir disparu, il en reste des réminiscences quelque part. Comme des petites graines. Si la pluie vient à tomber dessus, elles germent à nouveau. Et en plus, même si les souvenirs ne sont plus là, il arrive que le coeur en garde quelque chose. Un tremblement, une douleur, une joie, une larme. »

La narratrice sera-t-elle capable de ressentir ce tremblement, cette douleur, cette joie ? Je préfère ne rien dévoiler, car c'est la progression de son coeur qui est la trame de ce roman lent, profonde descente dans les abîmes de l'être humain sous l'emprise d'un pouvoir étrange et absolu.

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Le sujet était intéressant… la disparition d'objets du quotidien, ainsi que les êtres vivants tels que les oiseaux.
Le récit se déroule dans une île, je me suis parfois posés la question : est ce que les disparitions ne se passent que sur cette île ?

Parce que c'est étrange, du jour au lendemain un objet disparais : le parfum, les graines, les photographies… mais personnes ne réagis, à part quelques spécimens qui eux n'arrivent pas à oubliés… tous semblent se faire à l'idée même quand les romans disparaissent… surtout que le personnage principale est auteure mais rien… la fin est encore plus désopilante, plus étrange à la limite du grotesque… bien que tout se tiens…

je n'aime pas trop les dystopie, c'est peut-être pour cela que je n'ai pas trop accroché…

Un roman qui me laisse avec un sentiment d'inachevé… plein de questions, pas de réponses… ce livre va me laisser comme un effacement totale !

Bonne lecture !

CHALLENGE MULTI-DEFIS 2024
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Une île isolée du monde où, inexplicablement, des choses disparaissent, des plus anodines au plus essentielles. Les roses, les oiseaux, les calendriers, les livres, le printemps…. Les habitants de cette île se lèvent un matin et n'ont plus le souvenir de ces choses qui sombrent "dans le marais insondable de leur coeur". Pourtant, des habitants résistent et se souviennent du nom des oiseaux, de l'odeur des roses, ou bien persistent à lire. Une police secrète, implacable, efficace, qui a pour but de les éradiquer, les traque sans relâche. Une écrivaine, aidée d'un vieil homme ingénieux et d'une bonté ineffable, cache R, son éditeur, un clandestin qui se souvient de ces choses disparues. Terré dans son réduit, il assiste impuissant à leur effacement, et à la passivité de ses amis qui y assistent sans broncher, sans se révolter. Yôko Ogawa écrit un livre implacable, sans une lueur d'espoir, mais elle le fait avec un style d'une grande sensualité et d'une grande poésie. La scène où la narratrice décrit la fête d'anniversaire du grand-père dans la cachette de R est bouleversante et d'une beauté à couper le souffle. le ton est en demi-teinte, presque détaché ; il renforce d'une certaine manière le fatalisme de la narratrice. Une belle parabole sur la soumission aveugle à l'autorité, et sur l'oubli des hommes.
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Cristallisation secrète est un des tout meilleurs romans de Yoko Ogawa. Sa lecture est réellement captivante pour le lecteur, qui est comme d'habitude bousculé et aspiré dans l'imaginaire si singulier et si captivant de la romancière nippone.

Ce qui frappe dans ce livre, dès les premiers paragraphes, c'est tout d'abord le style de Yoko Ogawa. Simple, fait de petite phrases, il est léger, agrémenté de belles expressions poétiques mais sans fioritures inutiles, si bien qu'aucun passage, même les descriptions de petits gestes, ne semble superflu. L'écriture d'Ogawa constitue un tout et le déroulement des mots enferme petit à petit sans qu'il s'en rende compte le lecteur, pris dans une atmosphère qui se fait tantôt mélancolique, poétique et oppressante. En outre l'auteur réalise avec grâce un procédé de style délicat : le lecteur profite d'une mise en abîme, il peut suivre le déroulement du roman que la narratrice rédige.

L'action se déroule sur une île fictive où les habitants subissent des disparitions : une chose, et ce peut être n'importe quoi, ne signifie brusquement un matin plus rien aux habitants de l'île ; la chose est là, mais elle n'est plus reliée aux souvenirs des habitants qui ne savent plus ce qu'elle est. Ainsi disparaissent le parfum, les oiseaux, les roses, les calendriers...
Une police assez mystérieuse est chargée de faire respecter ces dispritions : elle détruit les choses disparues et traque les personnes qui à la différence de la majorité de la population se souviennent des choses et ne subissent pas les effets des disparitions. le personnage principal et narrateur est une jeune romancière, femme un peu solitaire qui ressent avec sensibilité les disparitions et le fait que des personnes, dont sa mère soient enlèvées par la police secrète. Elle décide d'aménager une pièce secrète chez elle pour son éditeur qui est en danger du fait de sa capacité à ne pas être affecté par les disparitions.

Ce roman est intéressant car l'auteur réussit à inventer dans un univers fictif une métaphore des régimes totalitaires pour mieux en faire la critique. En effet, l'omniprésence de cette police qui arrête de manière totalement arbitraire des citoyens et s'attache à faire respecter des règles qui semblent avoir été inculquées par un bourrage de crâne intensif à l'endroit de la population par une terreur intense à l'encontre de la population et des actions d'intimidations et de violence toujours plus intenses, n'est pas sans rappeler les pires travers des régimes nazis, soviétiques...
Yoko Ogawa livre ici une dénonciation édifiante de ces régimes qui maintiennent au mépris des libertés individuelles un ordre fondé sur une idéologie prétendument vécue par tous. En effet, l'action de la police secrète dans le seul but de préserver l'intégrité du processus de disparition n'est jamais expliquée dans ce livre, le fait que les disparitions adviennent devant être considère comme une vérité immuable qui ne peut être discutée et que la police défend au mépris de la liberté des individus de l'île semble en faire une sorte de dogme malsain d'Etat. Les disparition apparaissent donc comme une idéologie totalitaire défendue par un ordre politique répressif. de plus, Yoko Ogawa poursuit sa métaphore encore plus loin en nous montrant le caractère pernicieux de ces régimes, qui en plus de défendre leur idéologie, veulent à tout prix l'imposer dans l'esprit des populations qu'ils oppressent. Ainsi dans le livre personne ne se rebelle contre la police secrète et la narratrice est presque exclusivement la seule à questionner l'origine et les conséquences des disparitions, toutefois elle même fait montre de son impuissance à combattre ce processus qui semble inexorable et qui peu à peu glace son coeur, de mois en moins réceptif aux souvenirs.

De plus ce livre est l'occasion pour Ogawa de revenir à l'exploration de l'un des thèmes qui lui est cher et qui constitue de mon avis son thème le plus captivant : celui du souvenir, de leur difficile conservation et du fait que l'homme n'est constitué que de ses souvenirs.
En effet ces disparitions des choses provoquent des " cavités " dans le coeur des habitants de l'île. Ces cavités, mot poétique s'il en est, sont tous les souvenirs qui meurent avec chaque disparition. Ogawa nous fait prendre conscience d'une chose : la mémoire n'est constituée que d'éléments épars, liés à la perception de choses insignifiantes, mais qui rassemblés comme autant de petit coups de pinceaux sur un tableau, forment par leur combinaison une scène cohérente. Ogawa nous invite donc à préserver ces souvenirs par tous les moyens possibles, le symbole en est ces statues qui abritent des objets disparus. L'auteur nous invite à préserver notre mémoire, bien le plus précieux, car sans elle notre perception du monde et le goût des choses s'en trouvent modifiés de manière préjudiciable.

Au final, Yoko Ogawa offre au lecteur un roman qui est un travail d'orfèvre, de par le style de l'auteur ici au sommet de son art, une dimension politique extrêmement subtile et éclairée et enfin un univers personnel de l'écrivain qui sait nous intéresser par des thèmes aussi délicats que profonds. Pour les adeptes, un cru à ne pas rater, pour les néophytes je conseillerais de commencer par un roman plus court et plus abordable de l'auteur ( les abeilles...).
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Une parabole sur la mémoire et l'oubli
La narratrice est romancière.
Autrefois, longtemps avant sa naissance, il y avait des choses incroyables sur l'île comme des parfums, lui racontait sa mère quand elle était enfant. Et puis des choses ont commencé à disparaître parce qu'elles n'étaient plus reliées aux souvenirs des insulaires qui ne savaient plus les identifier. Les choses sont devenues futiles, inutiles ,vaines. Les années ont passé. Les oiseaux ont disparu, les roses ont disparu et puis les êtres, avec la complicité des habitants. La mère sculptrice est décédée, le père ornithologue aussi. La police secrète veille. Elle traque les gens qui se souviennent encore, les arrête et détruit les fragiles vestiges qu'ils ont conservés. Alors certains résistent, mettent en place des cachettes, se serrent les coudes. C'est ainsi que la romancière va protéger R. son éditeur...
Même si je préfère les nouvelles aux romans de Yôko Ogawa, j'ai aimé ce livre très poétique qui propose une belle réflexion sur la mémoire. L'atmosphère du roman est très particulière. Une douceur maternelle un peu cotonneuse enveloppe ce monde absurde, Orwellien, Kafkaïen. La narration parfois répétitive et un peu ennuyeuse est éclairée par des descriptions d'une poésie rare sur de petits objets du passé : ticket de métro, harmonica désaccordé, par des scènes uniques aussi qui résonnent en vous comme celle de l'anniversaire du grand-père.
On peut voir dans ce roman une allégorie des régimes totalitaires mais aussi de nos sociétés démocratiques contemporaines. Dans notre monde globalisé disparaissent des espèces végétales, animales, des tribus, des cultures dans une quasi-totale indifférence. Le monde virtuel et utilitariste fait disparaître des pratiques, des techniques, des sensations. Garder son vieux téléphone, sa machine à écrire. A quoi ça sert ? Qui se souvient des dactylos ? Et puis on peut voir aussi dans ce roman une parabole sur notre humaine condition. Nos proches meurent quand plus personne ne s'en souvient. Alors on peut se résigner ou on peut lutter grâce à l'art, la science ou l'amour. Même si tout s'évapore...


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Je pensais laisser un peu tomber l'histoire, et les combats politiques avec ce livre, mais non, mes petites obsessions m'ont vite rattrapée ! Mais pas seulement, car ce roman va plus loin.
Un joli titre, une promesse d'exotisme avec un auteur japonais, je m'apprêtais à un petit moment de lecture agréable, d'autant que la critique fait l'éloge de cet auteur. Oui, mais….sous couvert d'une fable politique, se cache une réflexion pessimiste sur le caractère éphémère de toute chose et le côté inéluctable de l'oubli, quelle que soit la manière dont on peut s'y prendre ou lutter.
Dans un pays imaginaire, la narratrice qui est romancière, raconte la petite chronique d'un régime totalitaire qui exerce une tyrannie originale, en organisant la disparition progressive de toute chose, ainsi que l'amnésie progressive des citoyens, pour les choses disparues. Un régime de terreur avec sa police politique efficace traque tous ceux qui gardent la mémoire, pour les emmener on ne sait où. Organiser le rétrécissement de l'espace mental des gens qui deviennent des sortes de zombies indifférents à tout et qui assurent eux-mêmes la destruction des choses interdites, est à coup sûr un moyen de pouvoir et de domination. Un certain Kim, en Corée du Nord nous rappelle que dans la fiction il y a toujours un fond de vérité.
Dans « Cristallisation secrète », la vision du monde est résolument noire. Quand ce ne sont pas les autorités qui font disparaître les choses, c'est la nature qui s'en mêle, un tsunami achève de balayer une partie de ce monde infernal. La tentative désespérée d'enfermer l'éditeur dans une cave pour le sauver revient à le précipiter tout aussi sûrement dans une tombe, dans laquelle il se décompose lentement.
En fait, tout ce qui compte est menacé par l'oubli, la mémoire qui s'estompe avec le temps et la mort, nous sommes de frêles esquifs sur l'océan de la vie…On a beau se débattre....
L'auteur pousse jusqu'au bout son hypothèse de l'anéantissement, et on ne peut pas s'empêcher de lire pour voir jusqu'où elle peut aller, et ça met franchement mal à l'aise. D'autant que c'est raconté avec une sobriété clinique, avec le minimum d'émotions, avec très peu de noms, ni de personnes, ni de lieu, un R qui fait écho au K de Kafka, un autre auteur pas très optimiste.
C'est malgré tout, même si j'adhère difficilement au propos, un roman très riche, avec une très belle écriture qui laisse la place à plusieurs lectures et interprétations, personnelles ou politiques, toutes plus désespérantes les unes que les autres.
A lire quand tout va très bien, sinon il n'y a plus qu'à se jeter dans la Seine pour que l'oubli arrive plus vite !


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