Citations sur L'Enfer pour aube, tome 1 : Paris Apache (17)
Ces insolvables, avançant d'un pas mécanique dans la lumière blafarde des matins plâtreux, s'en allaient quémander leur pitance par la seule force du travail qu'on daignait leur accorder.
Il y avait cette foule d’ombres, t’en souviens-tu ? Tous ces visages brunis par la crasse, plissant seulement les yeux quand le soleil des riches, économe de ses bienfaits, daignait lui accorder quelques rayons. J’entends encore le bruit de ces mains jeunes et déjà calleuses qui jouaient souvent du surin, par nécessité ou par bêtise, la lame récitant sa partition sémillante accompagnée de la mélopée gutturale de l’homme qu’on égorge. Ce peuple des bordures avait les clos des vignerons pour horizon, et les barrières d’octroi pour frontières. Je me souviens qu’il s’égayait dans les guinguettes de la courtille, s’étourdissait dans les assommoirs poisseux, et s’émancipait dans les hôtels borgnes. Ce peuple de la zone avait échoué au-delà des fortifications. Il avait bâti une cité riante, t’en souviens-tu ? Un dédale de planches vermoulues et de tôles froissées, aux rues boueuses à peine assez larges pour laisser passer la charrette du chiffonnier, encombrée de rebuts de la capitale. Ce peuple répudié qui avait essayé de reconquérir la ville, et avait tout perdu dans la fraîcheur d’un mois de mai, balayé par les chassepots. À l’heure où l’on s’apprêtait à sacrifier et éventrer Paris, il était temps que Paris se souvienne de ces gueux qui li avaient promis l’abîme pour crépuscule, et l’enfer pour l’aube.
Tu les connais bien, n’est-ce pas ? Je me suis toujours demandé comment un gars comme toi avait pu devenir flicard…
Bah, disons que je suis un vaurien qui a mal tourné !
La coque du ponton gémissait sous les coups de boutoir des chevaux d’écume qui s’élançaient sans relâche, ruant et frappant le bois putride de leurs sabots blancs, t’en souviens-tu ? Nous étions des milliers destinés à devenir des centaines, entassés dans les cales de ces vieux bateaux démâtés et sevrés de voiles. Ils languissaient le large, comme on languit les amours perdus et la vigueur révolue. Nous avions traversé la ville sous les lazzis de la foule. Soulagés, nous avions défilé sous les insultes des bonnes gens exaltés de voir la maudite engeance des barbares enfin à genoux, conduite par les soldats qui décimaient au hasard. Satory nous attendait. Ce n’était ni un camp, ni une prison, c’était l’enfer sur Terre. Nous étions la chienlit qu’on écrase, la flamme qu’on éteint la révolte qu’on piétine. Sur nos paillasses de boue, à Satory, nos nuits de terreur n’étaient troublées que par le fracas des chassepots. On n’y mourait pas, on y agonisait, t’en souviens-tu ? Et pour ceux qui n’avaient pas eu la chance d’y être fusillés, la longue route reprenait vers les pontons et les bagnes lointains. Elle reprenait sous les huées des gens de biens, qui nous promettaient l’abîme pour crépuscule et l’enfer pour l’auber.
On vient tous de la Zone et des fortifs ! Nous sommes tous nés dans la fange d’une réserve où les bonnes gens ont bien voulu nous parquer.
Je suis la cariatide, la violente et furieuse cariatide sur laquelle se sont engraissés les nantis qui eux aussi vont expier leurs crimes… Et à mon tour, je leur offrirai une croix de gloire et de feu ! Le temps des martyrs est venu.
Patiente et sereine, l’Aube attendait son heure pour balayer l’opacité et la noirceur de son ennemi supérieur en ombres. Elle surgirait doucement des faubourgs ourlés de brume, repoussant les dernières nuées sombres qui offraient encore un asile au fugitif.
- Un ouvrier, plutôt un ouvrier breton ! creusez un peu Gosselin, je suis sûr qu'ils ne sont pas étrangers à notre affaire.
- Les Bretons. les ouvriers bretons sur le chantier du métropolitain, mais pourquoi donc ?!
- Je me méfie d'eux comme de la peste inspecteur et vous devriez faire de même. Ils sont fourbes, sales, superstitieux et violents.
Nous sommes la Fédération de l’Indigence, celle que les vôtres nous ont imposée. Vous êtes le sous-fifre du petit nombre qui, assis sur leurs milliards, gouvernent au plus grand nombre.
Je fais ça parce que des gars comme toi sont incapables de le faire… Parce que vous avez été et vous êtes toujours des marionnettes pitoyables entre les mains des plus malins que vous. Oh bien sûr, tu fais frissonner le bourgeois, mais c’est le bourgeois qui t’a relégué dans ces quartiers de traine-misère, là où tu lui fiches la paix. Il y a quelques années, ici dans Paris, il y en a qui ont osé prendre les armes et se battre pour quelque chose qui en valait la peine, avoir une meilleure vie, remplir le ventre de ses gosses, vivre dignement. Mais pour un homme qui a osé se battre, neuf Luciens se sont débinés au premier Versaillais venu. Je fais ça parce que mon drapeau est rouge de colère et rouge de sang ; le tien est jaune comme ton foie.