Arrivée à mi-parcours, cette nouvelle série de
Mari Okazaki disponible chez nous me fascine toujours autant de par ses thèmes, son ton, sa mise en page et ses dessins. C'est un fort parti pris de l'éditeur que de sortir quelque chose qui détonne autant au milieu de la production actuelle.
Dans ce nouveau tome, Kaoru se pose de plus en plus de questions existentielles mais sa collègue Miyuki aussi. Ensemble, elles nous brossent un portrait sans concession des jeunes femmes japonaises des années 2010, avec de nombreuses réflexions sur leur rapport à la société, au couple, au mariage et au travail qui interpellent. C'est sombre, c'est dur, on n'est pas du tout dans une romance sirupeuse où l'on verrait des jeunes femmes pétillantes s'épanouir et devenir toutes guillerettes. Non, on est face à des femmes réelles dont la vie est tout sauf simple. Ainsi, leurs interrogations résonnent d'autant plus en nous et mettent mal à l'aise.
Il en va de même pour leurs compagnons. Autant Kaoru et Miyuki s'interrogent sur leur évolution professionnelle et sentimentale, autant Yagai et Akasaka en font de même, le travail en moins car ils sont pris dans une vraie spirale. Sous leurs airs de Don Juan pour l'un et de misogyne machiste pour l'autre, ce sont plutôt deux hommes très maladroits qui tentent à leur façon d'épauler et d'aimer leur compagne. Ils me plaisent beaucoup chacun à leur façon. Seul le personnage de Shiro continue à me prendre à rebrousse poil. Je comprends sa déception vis-à-vis de Kaoru mais a-t-il besoin de se comporter ensuite aussi mal avec elle et de noyer son chagrin auprès d'une femme qui n'a rien demandé et qu'il mène en bateau ? Je n'accroche pas.
En revanche, les relations amoureuses décrites et surtout mises en scène par
Mari Okazaki continuent de me faire vibrer. Il y a toujours cette sensualité extrême chez elle qui donne presque le sentiment de se noyer dans les fluides corporels que chacun émet, c'est déstabilisant et presque érotique. Sa manière de dessiner ces corps qui se rejoignent et s'épanouissent sous la caresse de l'autre est magique. Elle fait grandir et vibrer ses personnages sont son crayon comme je l'ai rarement vu.
En plus, les relations qu'il imagine n'ont rien de simples, mais pourtant elles me touchent énormément. Que ce soit la naïve Kaoru, qui aurait toutes les raisons pour m'agacer, ou l'expérimentée et forte Miyuki, qui pourrait agacer par ses sorties, les deux sont terriblement humaines dans leur rapport à l'autre. Ainsi, la relation naissante entre Kaoru et Yagai est pleine de maladresse mais de tendresse. Ils veulent se faire du bien l'un l'autre même s'ils ne savent pas trop comment s'y prendre et l'autrice conte cela dans d'innombrables scènes du quotidien qui peuvent sembler banales mais sont pleines de sens. Il en va de même pour Miyuki et Akasaka pour qui il est compliqué de s'ouvrir mais qui y parviennent lors d'une scène déchirante. Ce sont deux couples très adultes avec pourtant des individus très immatures en leur sein mais qui font tout pour grandir auprès de l'autre et l'épauler. C'est beau.
Alors oui, les questions plus terre à terre sur la terrible carrière de médecin, la difficulté à être indépendante professionnellement, ou à refaire sa vie après une relation passée compliquée, ne sont pas des questions enjouées. Oui, l'ambiance est lourde, pesante, malaisante. Mais c'est beau de les voir se débattre ainsi !
And reste donc encore et toujours un coup de coeur immense pour moi.
Mari Okazaki est une autrice qui au-delà de ses prouesses graphiques me parlent et résonne en moi quand elle décrit les relations matures et réalistes de ses personnages. C'est pourquoi, je suis d'autant plus triste de voir que cette série se vend mal alors que j'avais l'espoir qu'elle ouvre la porte à d'autres titres du catalogue si riche de l'autrice. N'ayez pas peur, si vous voulez une histoire profonde, émouvante et mature, osez lire And !
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