La laveuse de mort,
Sara Omar,
Actes Sud
Ce livre n'est pas un manifeste, c'est un coup de poing qui vous laisse groggy. Un livre de l'urgence, plus que de la révolte. de la dénonciation. de celles qui font mal. Que toute nuance compromettrait. L'autrice,
Sara Omar, est d'origine kurde et vit depuis ses plus jeunes années au Danemark. Elle nous dresse un portait de la société du Kurdistan irakien qui épouvante. Parce qu'elle est une femme et qu'elle parle des hommes, de l'arriération machiste, des superstitions et de l'obscurantisme religieux, de l'extrême violence des hommes dans un monde sans lumière.
La scène d'ouverture du livre est le récit d'une petite fille qui se déchire l'hymen en faisant du vélo. Son père, furieux à la vue du sang et de cette défloration fortuite qui prive sa fille de son honneur, la roue de coups, pendant que la mère, épouvantée par la violence de son époux ou le sort compromis de la fillette, s'immole par le feu. le reste est à l'avenant. Un combattant kurde refuse d'être le père d'une petite fille qui vient de naître avec le crâne chauve et une touffe de cheveux blancs, qu'il prend pour signe d'une disgrâce d'Allah, battra sa femme à la vue du lit souillé par la parturiente, refusera de paraître à la cérémonie du prénom qui réunit le quartier pour la fête traditionnelle de baptême, préférant aller à la chasse, viole la nuit même son épouse mal remise d'un accouchement difficile et va exécuter une tante au motif qu'elle passe, à tort ou à raison, pour une femme légère (les pages de cette exécution sont fortes et puissantes comme la mort de Milady dans les « Trois mousquetaires »).
L'histoire de livre est la vie de cette petit fille , Frmesk (« larme »), que ses grands-parents vont protéger contre son père. Ceux-là sont la seule lumière de ce livre, dur, implacable, sans concession : Darwesh, le grand-père, ancien colonel de l'armée irakienne, seul non musulman du livre, il est zoroastrien, croit au feu et au soleil, au savoir et à l'éducation, lit des livres, ne croit pas au Coran que vénère son épouse. Elle, c'est Gawhar, la laveuse des morts, qui consacre sa vie à laver le corps des femmes victimes des crimes d'honneur et qui, pour cela, endure la médisance. C'est tout de même une bonne musulmane, qui va prier à la mosquée. C'est à peu près la seule, tant la religion, dans ce recul du monde, nous est présentée comme tout sauf libératrice. Un véritable enfer.
Ce livre, très dialogué, est peu écrit. L'écriture n'est pas l'urgence, l'urgence c'est le message. Cependant, l'effet de cumul de scènes hallucinantes de cruauté ou de violence ou de bêtise des hommes est démonstratif et pesant, et quand le fils adopté de Gawhar, qui est imam, colle son visage sur la culotte de la petite fille et que celle-ci quelques jours plus tard fait une infection urinaire, je n'ai pu m'empêcher de rire. C'était trop ! Mais il n'est pas exclu que ce rire ait été de nervosité....
On retrouve Frmesk, des années plus tard, dans un hôpital au Danemark. Une jeune stagiaire en médecine est de même origine kurde irakienne que sa patiente. Son père lui impose le voile et veut la marier à un cousin. Elle est prête à se soumettre. La vie continue....
Cette « Laveuse de mort » est le premier volume d'une trilogie annoncée. Je ne suis pas sûr d'avoir très envie de lire les deux autres. Mais le courage et l'effet de vérité de cette dénonciation de l'enfer quelque part dans le monde, a fait de ce livre un best- seller au Danemark.
On regrette que l'auteure n'ait pas davantage entretenu, en signe de tolérance ou d'espérance, la belle lumière que répandaient autour d'eux, Darwesh et Gawhar, les deux portraits du livre, le zoroastrien et la musulmane. Mais sans doute le coeur n'y était-il pas.
Pour
Sara Omar, « la Nahda », le temps de la Renaissance d'un Islam des lumières est encore trop loin de ses douleurs.