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Critique de Eve-Yeshe


Ce roman commence avec un prologue très fort qui rappelle comment les Indiens d'Amérique ont été traités. On commence en 1621, avec la cession des terres, qui se conclut par un repas à l'origine de la fête la plus hypocrite qui puisse exister : « Thanksgiving » ! puis les massacres qui ont débuté deux ou trois ans plus tard, un nouveau massacre en 1637, pour atteindre le summum en 1864, à Sand Creek.

Les autochtones se sont retrouvés dans des réserves, plus récemment certains ont pu devenir des « Urbains » mais la discrimination est toujours là.

Ce roman, raconte, à travers l'histoire de douze personnages, de différents âges, des hommes, des femmes, des enfants, chacun ayant sa propre problématique, qui se retrouvent pour un grand Pow-Wow organisé pour la première fois dans la ville d'Oakland.

Cette cérémonie n'a pas la même signification pour tous. Mais, avec les danses, les tambours, les costumes traditionnels cela doit être une fête et une manière d'honorer les anciens, de renouer avec les racines.

On sait dès le départ que rien ne sera simple, car l'un des protagonistes vient de fabriquer un revolver grâce à une imprimante en trois dimensions.

Le Pow-Wow est organisé par Blue, qui a été adoptée et ignore tout de ses parents biologiques ; elle est assistée par Edwin Black, mal dans sa peau car il est obèse et se sent rejeté par les autres. Un troisième larron est censé les aider Calvin, mais sa fiabilité n'est pas à toute épreuve.

Une autre famille, atypique bien-sûr, est aussi sur le départ : elle est composée de deux soeurs dont on va apprendre la douloureuse histoire au fur et à mesure que la fête se prépare : Opale Viola Victoria Bear Shield et Jacquie Red Feather, qui ont un père différent et qui ont passé leur enfance à fuir, (la mère était victime de maltraitance mais pas uniquement) pour atterrir à Alcatraz, où se sont réfugiées d'autres familles indiennes à l'époque, dont des conditions lamentables…

Jacquie fait la connaissance de Harvey et on sait qu'il s'est passé quelque chose de grave sur la « plage » d'Alcatraz, ce qui va avoir des conséquences tragiques.

La fille de Jacquie est décédée d'une overdose, laissant trois enfants et c'est Opale qui va les adopter officiellement : Orvil, Loother et Loney.

On rencontre aussi Dene, qui a obtenu une bourse, pour un projet de « film » : il recueille des témoignages d'Indiens sur leur origine, leurs désirs dans la vie. Orvil, qui est âgé de quatorze ans va témoigner, sur son appartenance aux Cheyennes. Chaque personne qui accepte de témoigner reçoit une somme d'argent, et pour Orvil, il s'agit d'offrir un vélo à son petit frère Loney.

Outre, Edwin Black et son poids, on rencontre aussi Tony Loneman et le Drome de qui va hanter sa vie, empêchant des relations normales avec les autres, car il se sent différent, monstrueux.

« Quand j'ai posé la question à Maxine, elle m'a dit que ma mère buvait quand j'étais dans son ventre, m'a dit très lentement que j'avais le syndrome d'alcoolisation foetale. Tout ce que j'ai entendu c'est Drome, et puis je suis retourné devant la télé éteinte que je n'ai plus quitté des yeux. »

A côté, il y a des loubards, qui n'ont qu'une seule idée en tête : voler l'argent mis en jeu pour le Pow-Wow, sous forme de sorte de « bons d'achats » qui doivent être remis aux gagnants des participations : danseurs, musiciens…

Tommy Orange raconte très bien la difficulté de naître Indien, le mépris des Blancs, la difficulté de se faire une place dans cette société capitaliste sans valeurs ni respect pour autrui, ou pour la Nature. Il raconte aussi la fuite dans l'alcool, pour oublier (comme Jacquie) ou Tony et son visage défiguré par le syndrome d'alcoolisation foetale, ou encore dans la drogue, au risque d'en mourir, comme Jamie, la fille de Jacquie.

On retrouve aussi le besoin de retrouver ses racines, son identité, telle l'importance du costume traditionnel pour être considéré comme un Indien pour Orvil Red Feather qui répète devant YouTube la chorégraphie des danses.

Ce roman m'a énormément plu, car il aborde des thèmes qui m'intéressent : les racines, l'abandon, l'adoption, l'héritage culturel, la fuite dans les paradis artificiels et ce qui peut en découler, sans oublier le métissage, qui complique encore la notion d'identité.

Il ne va pas améliorer les sentiments que j'éprouve à l'égard des USA, des colonisateurs qui ont spolié les Amérindiens de leurs terres et qui ont le culot de remercier chaque années la terre qu'ils se sont appropriés avec une fête d'une hypocrisie qui va au-delà des mots : Thanksgiving ».

Ceci explique pourquoi, j'ai longtemps fait un blocage sur la littérature américaine, (qui s'est longtemps limitée à Philip Roth, Joseph Boyden); je découvre à petite dose, choisissant bien les auteurs.

Tommy Orange est un excellent conteur, et il cite au passage Gertrude Stein, qui lui a inspiré le titre du roman, propose des citations de James Baldwin, Bertolt Brecht, Jean Genet, entre autres.

« Cette citation est importante pur Dene. Ce « Là, là ». Il n'avait pas lu Gertrude Stein en dehors de cette citation. Mais, pour les Autochtones de ce pays, partout aux Amériques, se sont développés sur une terre ancestrale enfouie, le verre, le béton, le fer et l'acier, une mémoire ensevelie et irrécupérable. Il n'y a pas de là, là : ici n'est plus ici. »

J'ai beaucoup aimé ce roman choral, dont la couverture est superbe, et il m'a donné envie de lire d'autres livres sur les Amérindiens, de découvrir des auteurs amérindiens… Sherman Alexie, Louise Erdrich, James Welsh, David Treuer entre autres frappent à la porte de ma PAL…
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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