L'intrigue "d'
Ici n'est plus ici" se déploie telle une toile d'araignée, à partir de multiples fils qui finissent par former un ensemble aussi cohérent qu'implacable.
Au centre de cette toile, la ville d'Oakland, en Californie.
Nous y suivons douze protagonistes, hommes et femmes, enfants ou adultes, qui ont comme point commun d'appartenir, de manière plus ou moins directe, à la nation Cheyenne. Hors de la réserve, les Indiens en sont-ils pour autant délivrés des maux qui y sévissent ? Pas vraiment…
Les narrations se succèdent, portées par un "je" ou par un "il/elle", dessinant comme point commun la difficulté à vivre d'une communauté héritière d'un passé -cinq cents ans de campagne génocidaire- avec lequel l'Amérique n'a jamais réglé ses comptes. Chacun se débat à sa manière avec ce legs marqué par la souffrance, l'humiliation et la perte.
Ils ont pourtant survécu. Ces indiens des villes sont même pour certains parvenus à trouver, en s'occupant de leurs proches ou des autres, une forme d'équilibre et d'épanouissement, mais beaucoup ont du mal à considérer cette survie comme une victoire tant qu'ils seront aux prises avec les conséquences du passé et la persistance d'une discrimination qui les ravale au rang des plus miséreux, les exposant de manière disproportionnée aux violences familiales, aux addictions -à l'alcool ou aux stupéfiants-, à la délinquance ou à l'échec scolaire.
Tous sont hantés par la question de leur identité, bien qu'y répondant de diverses manières, dans la quête ou le déni, avec curiosité ou amertume... Que signifie être indien aujourd'hui, dans un monde d'où ont disparu les territoires qui constituaient l'héritage des ancêtres, définissaient mode de vie et traditions ? Comment concilier racines et modernité, défi rendu d'autant plus difficile quand les parents sont absents ou défaillants, parce que décédés, en prison, alcooliques… ? Est-ce la part de sang indien qui coule dans les veines qui détermine la conscience autochtone ; aux yeux de qui, et pourquoi, faut-il la revendiquer ?
Ces questionnements s'enchevêtrent à l'intrigue, dont les nombreux chemins convergent à l'occasion du grand pow-wow d'Oakland, point d'acmé d'un drame dont chaque élément prend peu à peu sa place. La narration, enchainant les points de vue des multiples personnages, nous entraine dans un tourbillon qui, en ne laissant guère le temps de s'attarder sur chacun, risque de perdre des lecteurs en route, mais confère en même temps au texte une énergie que j'ai personnellement trouvée addictive. Et puis cette accumulation de voix permet de donner corps à une communauté dont
Tommy Orange dresse ainsi un portrait vivant et touchant, tout en rendant hommage à sa diversité.
J'ai beaucoup aimé.
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