Le mot "chômage" était sur toute les lèvres. C'était plus ou moins nouveau pour moi, après la Birmanie, mais les radotages de la classe moyenne ("Ces sans-emplois sont inemployables", etc.) ne m'abusèrent pas. Je me suis souvent demandé si ce genre de choses abusait même les crétins qui les prononçaient. D'un autre côté, je ne m'intéressais pas à l'époque au socialisme ou à toute autre théorie économique. Il me semblait alors - il me semble parfois aujourd'hui - que l'injustice sociale s'arrêtera quand nous voudrons qu'elle s'arrête, pas avant, et que si nous voulons sérieusement l'arrêter, peu importe les moyens adoptés.
Nous avons le socialiste travailleur et à la tête vide : il veut supprimer la misère sans comprendre ses implications et d’autre part, le socialiste qui veut supprimer la misère de toutes les manières possibles mais qui se sert de cette misère pour ses propres intérêt..
Evêques, politiciens, philanthropes et tutti quanti adorent prononcer de saintes paroles sur la liquidation des taudis parce que cela leur permet de passer sous silence des maux autrement graves et de faire comme s'il suffisait de supprimer les taudis pour supprimer la misère. Mais tout ce verbiage a abouti à des résultats dérisoires...
Au fond, là où on extrait le charbon, c'est une sorte de monde à part qu'on peut aisément ignorer sa vie durant. Il est probable que la plupart des gens préféreraient ne jamais en entendre parler. Pourtant, c'est la contrepartie obligée de notre monde d'en haut. La quasi totalité des activités auxquelles nous nous livrons, qu'il s'agisse de manger une glace ou de traverser l'Atlantique, de cuire un pain ou d'écrire un roman, suppose -directement ou indirectement- l'emploi du charbon. [...] Pour que Hitler puisse marcher au pas de l'oie, pour que le pape puisse dénoncer le péril bolchevik, pour que les foules puissent continuer à assister aux matches de cricket, pour que les poètes délicats puissent continuer à fixer leur nombril, il faut que le charbon soit là.
Il est très facile d'imaginer une classe moyenne financièrement poussée dans ses derniers retranchements et n'en demeurant pas moins farouchement hostile à la classe ouvrière : et vous avez là un parti fasciste tout trouvé.
Nous savons tous que « le charbon est primordial », mais nous ne pensons jamais, ou presque jamais, à tout ce qu'implique l'extraction de ce charbon. Je suis là, à écrire confortablement installé devant mon poêle à charbon. On est au mois d'avril, mais j'éprouve le besoin d'allumer le feu. Tous les quinze jours, la voiture du charbonnier s'arrête devant ma porte, des hommes en blouson de cuir entrent chez moi, chargés de sacs grossiers qui sentent le bitume, et déversent le charbon dans la réserve qui se trouve sous l'escalier. Ce n'est que très rarement, et à condition de faire un effort conscient de réflexion, que j'établis le lien entre ce charbon et le travail qui s'effectue là-bas au fond de la mine. C'est simplement du charbon – une substance dont je ne puis me passer. Un combustible noir qui m'est livré magiquement, venant de nulle part, une sorte de manne pour laquelle il suffit d'ouvrir son portefeuille. Rien de plus facile que de traverser en voiture tout le nord de l'Angleterre sans penser une seule fois que, à des centaines de mètres en-dessous de la route que vous empruntez, il y a des mineurs qui triment pour vous procurer du charbon. Pourtant, en un sens, ce sont ces mineurs qui font avancer votre automobile. Le monde nocturne dans lequel ils se déplacent à la lueur de leurs lampes est aussi indispensable au monde du jour que les racines de l'arbre à la fleur.
L'obsédé des régimes alimentaires est par définition quelqu'un qui veut se couper de la société humaine dans l'espoir de prolonger de cinq années l'existence de sa pitoyable carcasse.
Dans le monde des maîtres à penser, on "réussit" moins par son talent littéraire que par son aptitude à hanter les cocktails et à baiser le derrière de vermineux petits lions.
...l'obsédé des régimes alimentaires [en parlant des végétariens, nd citeur] est par définition quelqu'un qui veut se couper de la société humaine, dans l'espoir de prolonger de cinq années l'existence de sa pitoyable carcasse.
G. Orwell, in Quai de Wigan, p.197
On a parfois l'impression que les simples mots de "socialisme" ou "communisme" ont en eux une vertu magnétique qui attire irrésistiblement tous les buveurs de jus de fruit, nudistes, porteurs de sandales, obsédés sexuels, Quakers, adeptes de la "vie saine", pacifistes et féministes que compte l'Angleterre.