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Citations sur Une histoire d'amour et de ténèbres (102)

Des livres, ... on en avait à profusion, les murs en étaient tapissés, dans le couloir, la cuisine, l'entrée, sur les rebords des fenêtres, que sais-je encore ? Il y en avait des milliers, dans tous les coins de la maison. On aurait dit que les gens allaient et venaient, naissaient et mouraient, mais que les livres étaient éternels. Enfant, j'espérais devenir un livre quand je serais grand. Pas un écrivain, un livre : les hommes se font tuer comme des fourmis, les écrivains aussi. Mais un livre, même si on le détruisait méthodiquement, il en subsisterait toujours quelque part un exemplaire qui ressusciterait sur une étagère, au fond d'un rayonnage dans quelque bibliothèque perdue, à Reykjavík, Valladolid ou Vancouver.
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Des livres, en revanche, on en avait à profusion, les murs en étaient tapissés, dans le couloir, la cuisine, l’entrée, sur les rebords des fenêtres, que sais-je encore? Il y en avait des milliers, dans tous les coins de la maison. On aurait dit que les gens allaient et venaient, naissaient et mouraient, mais que les livres étaient éternels. Enfant, j’espérais devenir un livre: les hommes se font tuer comme des fourmis. Les écrivains aussi. Mais un livre, même si on le détruisait méthodiquement, il en subsisterait toujours quelque part un exemplaire qui ressusciterait sur une étagère, au fond d’un rayonnage dans quelque bibliothèque perdue, à Reykjavík, Valladolid ou Vancouver.

Lorsque – et cela s’était produit à deux ou trois reprises – il n’y avait pas assez d’argent pour préparer le sabbat, ma mère regardait mon père qui, comprenant que le moment était venu de choisir l’agneau du sacrifice, se dirigeait vers la bibliothèque: en homme de principes, il était conscient que le pain venait avant les livres et que le bien de son enfant l’emportait sur tout le reste. Je me rappelle son dos voûté quand, franchissant la porte avec trois ou quatre de ses chers volumes sous le bras, il se rendait tristement à la boutique de M. Maier pour lui vendre quelques précieux ouvrages – on aurait dit qu’il taillait dans le vif. Abraham, notre père, devait avoir cet air-là en quittant sa tente à l’aube, portant Isaac sur son dos, en route vers le mont Moriah.

Je devinais son chagrin: mon père entretenait un rapport charnel avec les livres. Il aimait les manipuler, les palper, les caresser, les sentir. C’était une véritable obsession, il ne pouvait s’empêcher de les toucher, même si c’étaient ceux des autres. Il faut dire que, jadis, les livres étaient beaucoup plus sensuels qu’aujourd’hui: il y avait largement de quoi sentir, caresser et toucher. Certains avaient une couverture en cuir odorante, un peu rugueuse, gravée en lettres d’or, qui vous donnait la chair de poule, comme si l’on avait effleuré quelque chose d’intime et d’inaccessible qui se hérissait et frissonnait au contact des doigts. D’autres possédaient une jaquette en carton recouverte de toile au parfum de colle très érotique. Chaque livre avait son odeur propre, mystérieuse et excitante. Et lorsque la jaquette de toile baillait, telle une jupe impudique, on avait toutes les peines du monde à se retenir de loucher sur l’interstice entre le corps et le vêtement et s’enivrer des effluves qui s’en exhalaient.
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Ou peut-être était-ce le fruit de mon imagination : la mémoire vivante, tels les cercles à la surface de l'eau ou les frissons nerveux agitant l'échine d'une biche juste avant qu'elle ne s'enfuie, la mémoire donc frémit simultanément sur plusieurs rythmes, en plusieurs foyers, avant de se figer et devenir le souvenir d'un souvenir.
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Le problème avec Trotski, Lénine, Staline et consorts, pensait ton grand-père, c'est qu'ils avaient aussitôt essayé de refaire le monde en fonction des livres, ceux de Marx, d'Engels et d'autres penseurs de cet acabit qui connaissaient peut-être toutes les bibliothèques par cœur, mais ne savaient rien de la vie, de la méchanceté, la jalousie, la mesquinerie et la joie sardonique. On ne pourra jamais jamais programmer la vie conformément a un livre! Aucun livre ! Ni notre Shoulhan Aroukh, ni Jésus-Christ, ni le manifeste de Marx ! Jamais ! Mieux vaut organiser moins et s'entraider plus ou même compatir un peu, répétait-il. Il croyait en deux choses, ton grand-père : la compassion et la justice, derbaremen un gerekhtikeyt. Mais il était d'avis que l'une n'allait pas sans l'autre : la justice sans la compassion, c'était l'abattoir. La compassion sans la justice, c'était peut-être bon pour Jésus mais pas pour les gens simples qui ont mangé la pomme du mal. C'était son point de vue : un peu moins d'organisation et un peu plus de compassion.
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Comme beaucoup de juifs sionistes de l'époque, mon père était un cryptocananéen : le shtetl comme ses représentants dans la littérature moderne, Bialik et Agnon, l'embarrassaient et lui faisaient honte. Il aurait voulu nous voir renaître en Hébreux blonds, robustes, bronzés et européens et non plus en juifs d'Europe orientale. Mon père exécrait le yiddish qu'il appelait "jargon". Il considérait Bialik comme le poète de la misère, de la perpétuelle agonie, tandis que Tchernichovsky annonçait une aube nouvelle, celle de la génération des Conquérants de Canaan dans la Tempête.

page 49
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Trois principes régissent le monde... Parle peu et agis bien... Rien n'est plus bénéfique pour le corps que le silence... Sache ce qui est au-dessus de toi... Ne te sépare pas de la communauté, ne te fie pas à toi-même jusqu'au jour de ta mort, et ne juge pas ton prochain jusqu'à ce que tu sois à sa place... et là où il n'y a pas d'hommes, tâche d'en être un.
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Les pires conflits entre les individus ou entre les peuples opposent souvent des opprimés. C'est une idée romanesque largement répandue que d'imaginer que les persécutés se serrent les coudes et agissent comme un seul homme pour combattre le tyran despotique. En réalité, deux enfants martyrs ne sont pas forcément solidaires et leur destin commun ne les rapproche pas nécessairement. Souvent, ils ne se considèrent pas comme compagnons d'infortune, mais chacun voit en l'autre l'image terrifiante de leur bourreau commun.
Il en va probablement ainsi entre les Arabes et les Juifs, depuis un siècle.
L'Europe a brimé les Arabes, elle les a humiliés, asservis par l'impérialisme et le colonialisme, elle les a exploités, maltraités,et c'est encore l'Europe qui a persécuté, opprimé les Juifs et qui a autorisé, voire aidé les Allemands à les traquer aux quatre coins du monde et à les exterminer presque tous. Or les Arabes ne nous prennent pas pour une poignée de survivants à moitié hystériques, mais pour le fier rejeton de l'Europe colonialiste, sophistiquée et exploiteuse, revenue en douce au Proche-Orient - cette fois sous le masque du sionisme - pour recommencer à les exploiter, les expulser et les spolier. Nous, nous ne les prenons pas pour des victimes semblables à nous, des frères d'infortune, mais pour des cosaques fomenteurs de pogroms, des antisémites avides de sang, des nazis masqués : comme si nos persécuteurs européens resurgissaient ici, en Terre d'Israël, avec moustache et keffieh, nos assassins de toujours, obsédés par l'idée de nous couper la gorge, juste pour le plaisir.
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Mais à la tombée du soir, il sombra dans la mélancolie , à croire que ses bons mots étaient épuisés et que la fontaine de ses anecdotes était tarie. Il me proposa de m'installer près de lui sur un banc ombragé, derrière la maison de la culture, pour assister au coucher du soleil. Nous étions assis côte à côte, en silence. Mon bras hâlé, couvert d'un duvet blond, reposait sur le dossier de banc, non loin de son bras blafard, hérissé d'une toison noire. Cette fois, il ne m'appela pas Votre Honneur, ni Votre Majesté, et il ne se comporta pas non plus comme s'il devait absolument combler le silence. Il avait l'air si désorienté, si triste que je faillis lui effleurer l'épaule. Mais je me retins. Je croyais qu'il essayait de me dire quelque chose d'important et d'urgent, et qu'il n'arrivait pas à se décider. Pour la première fois de sa vie, mon père semblait avoir peur de moi. J'aurais voulu l'aider, prendre l'initiative, mais j'étais aussi coincé que lui.
- Alors voilà, finit-il par articuler.
- Voilà, répétai-je.

p. 764
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Or les foudres de papa ne s'exprimaient généralement pas par des pogroms, mais prenaient la forme mortellement sarcastique de la politesse protocolaire la plus raffinée :
"Son Excellence a encore une fois osé maculer le couloir de boue : ôter ses chaussures à l'entrée, comme nous prenons la peine de le faire, nous, pauvres mortels, les jours de pluie, est apparemment indigne de Sa Seigneurie. Sauf que, cette fois, je crains fort que Sa Grâce ne doive s'abaisser à essuyer de ses blanches mains les traces de ses royales empreintes. Ensuite, Son Excellence voudra bien s'enfermer une heure, tout seul dans le noir, dans la salle de bains où il aura tout le loisir de méditer sur sa conduite, faire bon examen de conscience et réfléchir à s'amender à l'avenir."
Maman protestait aussitôt contre la sévérité de punition : "Une demi-heure suffira. Et il n'aura pas besoin de rester dans le noir. Qu'est-ce qu'il te prend ? Tu voudrais l'empêcher de respirer aussi, peut-être ?
"Heureusement que Sa Grâce a toujours un champion enthousiaste qui prend inconditionnellement sa défense, répliquait papa.
Et maman :
"Si l'on pouvait punir aussi le sens de l'humour à la manque qui règne dans cette maison...", mais elle ne terminait jamais sa phrase.

p. 433
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On se trompe si l'on cherche le coeur de l'histoire dans l'interstice entre la création et son auteur : il vaut mieux le rechercher non pas dans l'écart entre l'écrit et l'écrivain, mais dans l'écrit et le lecteur.

p. 60
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