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Citations sur Une histoire d'amour et de ténèbres (102)

Des livres, ... on en avait à profusion, les murs en étaient tapissés, dans le couloir, la cuisine, l'entrée, sur les rebords des fenêtres, que sais-je encore ? Il y en avait des milliers, dans tous les coins de la maison. On aurait dit que les gens allaient et venaient, naissaient et mouraient, mais que les livres étaient éternels. Enfant, j'espérais devenir un livre quand je serais grand. Pas un écrivain, un livre : les hommes se font tuer comme des fourmis, les écrivains aussi. Mais un livre, même si on le détruisait méthodiquement, il en subsisterait toujours quelque part un exemplaire qui ressusciterait sur une étagère, au fond d'un rayonnage dans quelque bibliothèque perdue, à Reykjavík, Valladolid ou Vancouver.
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Voilà comment Raskolnikov pourrait atténuer un tantinet la turpitude et l'isolement dans lequel chacun tient son prisonnier intérieur, sa vie durant. Les livres auraient donc le pouvoir de vous consoler un peu de vos terribles secrets ; pas seulement vous mon vieux, mais nous aussi qui sommes dans le même bateau ; personne n'est une île, mais plutôt une presqu'île, une péninsule, cernée presque de toutes parts par des eaux noires et rattachées aux autres presqu'îles par un seul côté.
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Au cours des semaines et des mois qui suivirent sa mort, je n'ai pas songé une seconde à sa souffrance. Je me suis bouché les oreilles pour ne pas entendre le cri de détresse silencieux qui lui avait succédé et résonnait dans tout l'appartement. Je n'éprouvais pas la moindre compassion. Ni regrets. Pas même de tristesse parce qu'elle était morte : je ne ressentais qu'humiliation et colère. Quand mes yeux tombaient sur son tablier à carreaux qui était resté accroché derrière la porte de la cuisine plusieurs semaines après sa mort, j'étais furieux comme s'il retournait le couteau dans la plaie. Les objets de toilette de ma mère, son poudrier, sa brosse à cheveux, posés sur son étagère, la verte, dans la salle de bains, me faisaient mal, comme s'ils étaient restés là pour me narguer. La partie de la bibliothèque qui lui était réservée, ses chaussures vides, son odeur qui me prenait à la gorge quand j'ouvrais la porte du côté de maman dans la penderie m'emplissaient d'une rage impuissante. A croire que son pull, qui avait échoué on ne sait comment parmi les miens, me lançait un sourire narquois.....
J'étais en colère pour mon père aussi, parce que sa femme lui avait fait honte, elle l'avait laissé tomber comme une vieille chaussette, comme dans les comédies au cinéma, comme si elle s'était enfuie avec un autre homme. Enfant, on me grondait et on me punissait si j'avais le malheur de ne pas donner signe de vie ne serait-ce que deux ou trois heures : il y avait un règlement très strict à la maison : en partant, il fallait dire où l'on allait et à quelle heure on revenait. Ou laisser un mot à l'endroit habituel, sous le vase.
Chacun d'entre nous.
C'était de la dernière grossièreté de s'en aller au milieu d'une phrase. Elle qui était tellement à cheval sur le tact, l'amabilité, les bonnes manières, qui évitait de vexer, de faire souffrir, qui ménageait tout le monde avec tant de délicatesse ! Comment avait-elle pu ?
Je la détestais.
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Un jour - j'avais sept ou huit ans alors que nous étions assis sur l'avant dernière banquette du bus, en route pour le dispensaire ou la boutique de chaussures pour enfants, maman m'avait affirmé qu'avec le temps les livres pourraient changer au moins autant que les humains, avec cette différence que les hommes te plaquent tôt ou tard, dès qu'ils ne trouvent plus en toi de profit, de plaisir, d'intérêt ou de sentiment, tandis que les livres ne te laissent jamais tomber. Toi, tu les dédaigneras parfois, tu en délaisseras certains pendant de longues années, ou pour toujours. Mais même si tu les trahis, ils ne te feront jamais faux bond, eux : ils t'attendront en silence, humblement, sur l'étagère. Des dizaines d'années s'il le faut. Sans une plainte. Et puis une nuit, quand tu en éprouveras soudain le besoin, peut-être à trois heures du matin, et même s'il s'agit d'un livre que tu aurais négligé, voire pratiquement rayé de ta mémoire pendant des années, il ne te décevra pas mais descendra de son perchoir pour te tenir compagnie quand tu en auras besoin. Sans réserve, sans chercher de mauvais prétextes, sans se poser la question de savoir si cela en vaut la peine ou si tu le mérites, il répondra immédiatement à ton appel. Il ne t'abandonnera jamais.
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Depuis cette fin décembre 1938, je ne suis plus jamais repartie, sauf peut-être en imagination, et je ne repartirai plus. Israël n'a rien d'extraordinaire, ce n'est pas ça ,c'est parce que aujourd'hui je trouve que les voyages sont une stupidité : le seul voyage dont on ne revient pas toujours les mains vides est intérieur. Là, il n'y a ni frontières ni douane, et on peut même atteindre les planètes les plus lointaines. On peut aussi flâner dans des endroits qui n'existent plus, rendre visite à des gens qui ne sont plus. On pourrait d'ailleurs se rendre dans des lieux qui n'existent pas et ne pourraient jamais exister, mais où l'on est bien. Ou au moins, pas mal.
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Je devinais son chagrin: mon père entretenait un rapport charnel avec les livres. Il aimait les manipuler, les palper, les caresser, les sentir. C'était une véritable obsession, il ne pouvait s'empêcher de les toucher, même si c'étaient ceux des autres. Il faut dire que, jadis, les livres étaient beaucoup plus sensuels qu'aujourd'hui: il y avait largement de quoi sentir, caresser, et toucher. certains avaient une couverture en cuir odorante, un peu rugueuse, gravée en lettres d'or, qui vous donnait la chair de poule, comme si l'on avait effleuré quelque chose d'intime et d'inaccessible qui se hérissait et frissonnait au contact des doigts. (...) Chaque livre avait son odeur propre, mystérieuse et excitante. (p. 43)
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"Réflexion faite, les documents qui se trouvaient ou ne se trouvaient pas là-bas ont dû brûler une dizaine de fois, pendant l'occupation polonaise, celle de l'Armée rouge, puis à l'arrivée des nazis qui nous ont tous fusillés et jetés dans des fosses qu'ils ont recouvertes de sable. Ensuite, il y a eu encore Staline avec le NKVD, et Rovno est passée de main en main, comme un petit chien martyrisé par une bande de voyous : laRussie-laPologne-laRussie-l'Allemagne-laRussie. Aujourd'hui, elle n'est ni à la Pologne ni à la Russie mais à la République d'Ukraine, ou peut-être à la Biélorussie? Ou à des mafias locales? En fait, je ne sais pas à qui elle appartient aujourd'hui. Et ça m'est égal : ce qui existait a disparu et ce qui existe aujourd'hui ne sera plus d'ici quelques années.
"L'univers tout entier, si on prend du recul, ne durera pas éternellement. On dit qu'un jour le soleil s'éteindra et que le monde retournera à l'obscurité. Alors pourquoi est-ce que les hommes s'entretuent depuis le commencement de l'histoire? Quel pouvoir régnera au Cachemire ou dans la grotte de Makhpela, à Hébron, est-ce si important? Au lieu de manger la pomme de l'arbre de vie et de l'arbre de la connaissance, nous nous sommes probablement jetés sur la pomme vénéneuse de l'arbre du rishes que nous a donnée le serpent. C'est comme ça que le paradis a cessé et que cet enfer a commencé."
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Je suis né et j'ai grandi dans un rez-de-chaussée exigu, bas de plafond, d'environ trente mètres carrés : mes parents dormaient sur un canapé qui, une fois ouvert pour la nuit, occupait presque entièrement l'espace, d'un mur à l'autre de la chambre. De bon matin, ils l'escamotaient, dissimulaient la literie dans les ténèbres du coffre, ils rabattaient le matelas, repliaient et refermaient l'ensemble avant de le recouvrir d'une housse gris clair où ils jetaient quelques coussins orientaux brodés, effaçant les traces de la nuit. La pièce servait à la fois de chambre à coucher, de bureau, de bibliothèque, de salle à manger et de salon.
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Les pires conflits entre les individus ou entre les peuples n'opposent pas forcément des opprimés. C'est une idée romanesque largement répandue que d'imaginer que les persécutés se serrent les coudes et agissent comme un seul homme pour combattre le tyran despotique. En réalité, deux enfants martyrs ne sont pas forcément solidaires et leur destin commun ne les rapproche pas nécessairement Souvent, ils ne se considèrent pas comme compagnons d'infortune, mais chacun voit en l'autre l'image terrifiante de leur bourreau commun.
Il en va probablement ainsi entre les Arabes et les Juifs, depuis un siècle.
L'Europe a brimé les Arabes, elle les a humiliés, asservis par l'impérialisme et le colonialisme, elle les a exploités, maltraités, et c'est encore l'Europe qui a persécuté, opprimé les Juifs et qui a autorisé, voire aidé les Allemands à les traquer aux quatre coins du monde et à les exterminer presque tous. Or les Arabes ne nous prennent pas pour une poignée de survivants à moitié hystériques, mais pour le fier rejeton de l'Europe colonialiste, sophistiquée et exploiteuse, revenue en douce au Proche-Orient - cette fois sous le masque du sionisme pour, recommencer à les exploiter, les expulser et les spolier. Nous, nous ne les prenons pas pour des victimes semblables à nous, des frères d’infortune, mais pour des cosaques fomenteurs de pogroms, des antisémites avides de sang, des nazis masqués : comme si nos persécuteurs européens ressurgissaient ici, en Terre d'Israël, avec moustache et keffieh, nos assassins de toujours, obsédés par l'idée de nous couper la gorge, juste pour le plaisir. (p.362-3)
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La colère s'était apaisée au bout de quelques semaines. Et avec elle, on aurait dit que la couche protectrice, la gangue de plomb qui, les premiers temps, avait amorti le choc et la douleur, avait sauté. J'étais sans défense.
Et cessant de haïr ma mère, je commençais à me faire horreur.
Mon coeur n'était toujours pas prêt à accueillir la souffrance de ma mère, sa solitude, l'asphyxie qui l'empêchait de respirer, le cri de désespoir qu'elle avait poussé les dernières nuits de sa vie. Je vivais toujours mon drame, pas le sien. Mais je ne lui en voulait plus, au contraire, je culpabilisais : si j'avais été un meilleur fils, plus dévoué, qui ne jetait pas ses vêtements par terre, ne la tourmentait pas, ne la contrariait pas, préparait ses devoirs à temps, sortait la poubelle le soir sans se faire prier, ne lui gâchait pas la vie... Si j'avais été plus attentif à ses migraines. Ou si, au moins, je m'étais efforcé de lui faire plaisir...
Si ma mère m'avait quitté de cette façon, sans un regard en arrière, c'était la preuve qu'elle ne m'avait jamais aimé : quand on aime, m'avait-elle appris, on pardonne tout sauf la trahison. On excuse même les contrariétés, le bonnet perdu, les courgettes laissées dans l'assiette.
Abandonner c'est trahir. Et c'est ce qu'elle avait fait avec nous deux papa et moi. Moi, je ne l'aurais jamais quittée comme ça, malgré ses migraines, même si, je le savais maintenant elle ne nous avait jamais aimés, je ne l'aurais jamais quittée de ma vie, malgré ses longs silences, ses sautes d'humeur et même si elle s'enfermait dans sa chambre, dans le noir. Je me serais fâché quelques fois, je ne lui aurais peut-être pas parlé un jour ou deux, mais je ne l'aurais jamais quittée pour toujours. Jamais de la vie....
Si ma mère m'avait laissé en plan, c'était la preuve que je n'étais pas digne d'être aimé..... Quelque chose de si épouvantable que même ma mère, une femme pourtant tendre et sensible, prête à donner son amour à un oiseau, un mendiant dans la rue, un petit chien perdu, incapable de me supporter, avait été forcée de mettre la plus grande distance possible entre elle et moi. Il y a un proverbe arabe qui dit : " Koul gird be'ein emo razal" , au yeux de sa mère, un singe est comme un faon. Sauf moi.
Si j'avais été mignon, au moins un tout petit peu, comme tous les enfants du monde le sont pour leur mère...... si j'avais été comme tout le monde, j'aurais pu avoir une maman moi aussi...
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