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Critique de Erveine


L'eau de toutes parts c'est Leonardo Padura en personne. Qu'est-ce que vivre et écrire à Cuba. L'écrivain naît à Cuba et Cuba naît à son tour de Leonardo. Pourquoi êtes-vous resté à Cuba ? lui demande-t-on, plutôt que : pourquoi avez-vous quitté Cuba ? devrait-on formuler si toutefois il l'avait quitté, plus logiquement. Si quelqu'un meurt et qu'on aille le retrouver dans quelques pays, partant de souvenirs très précis, du concret solide de la mémoire, nous trouverons alors un paysage de désolation où chaque évocation sera amputée de l'âme de celui qu'on recherche et au plus haut degré s'il fut aimé. Il en est ainsi de l'être comme du pays, si bien que désillusionné, il vaut mieux rester en immersion de son destin comme de sa destinée. Partir c'est aussi revêtir une enveloppe supplémentaire d'expérience et de savoir, c'est progresser et s'enrichir mais c'est aussi s'emporter soi-même avec sa vérité et ses racines et fabriquer un tout de l'être et du pays ; ou, s'établir parfois dans un autre lieu car l'attachement n'a pas de frontière, seule l'identité perdure. La maison de Leonardo lui échoit de son père comme un héritage culturel dont il est lui-même la continuité et le lien historique. Ainsi nous parlera-t-il de sa ville, Mantilla, du parnassien José-Maria de Heredia, de José Lezama et de ses proches, amis, poètes, écrivains qui se reconnaissent chacun à leur façon d'une oeuvre littéraire différente et à la fois complémentaire. Mais aussi de découvrir, José María Heredia y Campuzano né à Santiago de Cuba en 1803 et décédé en 1839 au Mexique où il vécut en exil. Ce cousin germain De Heredia cité plus haut, fut le précurseur de la poésie cubaine et de l'âme patriotique qui lui naît de l'amour pour son pays. Il mourra peu après avoir revu Cuba qu'il emporte en au-delà. Cet aspect du choix de la patrie du tout jeune poète Heredia est absolument passionnant car, il résulte de la période historique d'un pays tout juste naissant et d'un homme, tous deux en constante évolution, mais qui se rejoignent toujours sous l'effet d'une imprégnation identitaire et affective, politique et culturelle. Puis, il invite au rappel de la réhabilitation posthume du poète dramaturge, Virgilio Piñera, récompensé en 1968 puis interdit de publication jusqu'à sa mort par le régime castriste, pour cause d'homosexualité.
Comme l'aurait dit José Martí, relève l'auteur : « Un aigle a survolé la mer », et près de 50 ans plus tard, de la batte et de la balle, il a substitué le foot, tué la musique et muselé la culture, soit dénaturé l'identité populaire tout cela accompagné d'une crise économique majeure, quoi de mieux pour s'octroyer la domination d'un peuple, le livrer à la décadence et à l'opprobre. Ainsi fut fait de Cuba qui perdit beaucoup de ses élites. Mais : « la vie est plus vaste » sur le plan éthique, souligne Gregorio Marañón, car oui, après un demi-siècle de grande crise du socialisme, l'ancestrale démesure nationale cubaine pousse les gens à chercher la normalité accessible ou la plus simple expression de la vie, boire une bière, écouter de la musique, faire avec, et se désintéresser de toute probation, de tout penchant vers la politique. Même si, même si l'espoir et le rêve du changement subsistent. Mais vivre ! S'attacher au réel, quel qu'il soit.
Vivre et écrire à Cuba s'est aussi s'atteler à franchir non pas le Rubicon mais le Malecón, cet asphalte de front de mer de 8 kilomètres de long qui sépare la ville de l'océan, afin que les mots nous atteignent, nous, et franchissent les domaines de l'universalité, puisqu'ici, à la Havane, il faut affronter l'insularité littéraire. Ainsi, quand l'auteur nous invite en son for intérieur, passant le pont-levis nous découvrons un personnage fort attachant. Et, lorsqu'on demande à Paul Auster de faire une analyse sur la situation de son pays, Leonardo Padura fait le constat que les questions qui lui sont soumises ne sont pas celles proposées au grand Paul quant au Cubain dont il se revendique, ce qui n'entache nullement l'admiration respectueuse qu'il voue à cet écrivain, comme d'ailleurs, à ses homologues en général. Pourtant le talent égalé de Leonardo Padura devrait être mis en exergue quand on songe aux outils mis à sa disposition et aux nombreux bouleversements qui l'empêchèrent de rejoindre Paris, par exemple, qui fut l'école de la vie de bon nombre d'écrivains et le fait de ne pas pouvoir franchir les frontières, appartenance/terre/mer comme il l'aurait souhaité. Soit, que finalement, il est devenu cet écrivain notoire et avéré que L'eau de toutes parts nous distille quand il nous est donné de le reconnaître et de l'apprécier en dépit du temps historique et de l'éloignement. Oui, j'ai aimé Mario Condé dans Les brumes du passé, les voies libertaires des Hérétiques et surtout ou bien autant, L'homme qui aimait les chiens.
Et puis, qu'est-ce qu'écrire ? Écrire un roman mais dans quel but ? Ainsi, de façon extraordinaire et sans jamais classer le roman dans une case restrictive, Leonardo Padura qui n'est pas un personnage autocentré, se réfère à Kundera qui évoque « la nature de l'âme » puis Houellebecq, qui lui parle de « la nécessité qui prend forme » et bien avant, de Flaubert, qui veut lui « atteindre l'âme des choses ». Autant dire, une multitude de perspectives dont la propension littéraire et l'exigence de qualité permet d'atteindre à des degrés de satisfecit très honorables.
Ainsi, l'écriture de Leonardo Padura est savante et sincère, lucide et douce. Elle procède comme je viens de le souligner, d'un enclin perfectible et c'est avec ravissement que j'ai lu cet ouvrage. Ceci, grâce à l'opération masse critique de Babelio et aux Éditions Métailié que je remercie vivement.
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