Les os des filles est le troisième roman de
Line Papin, écrit et publié en 2019 juste après le second séjour de l'auteur à Hanoi depuis qu'elle ait quitté le Vietnam pour la France à l'âge de dix ans. le titre fait référence à plusieurs thèmes importants de l'ouvrage, comme le rite funéraire vietnamien consistant à conserver les ossements des défunts dans de petites boites ou encore la maladie contre laquelle s'est battue Line à l'âge de quinze ans, l'anorexie. Comme ses deux premiers romans, l'Éveil (2016, prix de la vocation) et
Toni (2018), la dernière oeuvre de
Line Papin rencontre un franc succès notamment grâce à la couverture médiatique dont il a fait l'objet.
Ce court roman (178 pages) d'inspiration autobiographique parle de cette « mémoire invisible », ce patrimoine que nous portons tous en nous, celui de l'histoire de nos parents et aïeuls, qui façonne inexorablement notre personnalité.
Line Papin a entrepris d'écrire l'histoire, jusque-là mystérieuse, de sa famille vietnamienne sur trois générations afin de mieux appréhender la personne qu'elle est devenue. C'est dans le Vietnam des années 40, entre guerre et rizières, que le récit débute, pour ensuite se poursuivre chronologiquement dans le Hanoi post-embargo de la fin des années 90 et l'enfance de l'auteur avant de basculer vers l'expérience du déracinement.
Le livre est structuré en chapitres et sous chapitres. La première partie du roman est consacrée à l'histoire des différentes générations de femmes qui se sont succédées avec des titres de chapitres tels que « Soeurs » « Jeunes femmes » « Filles » pour ensuite faire place à l'adolescence de Line et la bataille silencieuse qu'elle a mené contre elle-même à cette époque. La romancière emprunte à ce moment du récit un champ lexical appartenant à celui de la guerre avec des titres évoquant les différentes évolutions de son conflit intérieur comme « État d'urgence » « Cessez-le-feu ». Les nombreux repères spatiaux temporels sont appréciables pour resituer le contexte : en 2007
Bertrand Cantat sortait de prison, l'élection de
Sarkozy…
Le roman est écrit à la première personne alternée avec les secondes et troisièmes personnes du singulier.
Line Papin s'adresse par moment directement à la petite fille qu'elle était et qui refusait de grandir. Une âme sensible se dévoile dans ce livre, faisant l'aveu sans concession de la carence affective dont elle a été victime. le sentiment de ne pas avoir été aimée par sa mère et d'avoir été arrachée brutalement à sa famille vietnamienne.
Line Papin raconte également le déracinement, l'arrachement, la souffrance que peut provoquer un changement radical de pays à un âge charnière de l'enfance. Un sentiment agissant comme une bombe à retardement qui fera sombrer l'auteur dans une grave dépression cinq années après son changement de vie. On ne peut jamais vraiment faire le deuil d'une enfance idyllique dans un pays extra occidental. L'expérience de l'enfance à l'étranger, c'est être condamné à une nostalgie sans fin, à continuellement observer cette autre vie comme un paradis perdu. Line parviendra cependant à faire le deuil de son ancienne vie, après avoir choisi la vie sur la mort et en retournant sur les pas de cette petite fille métisse née avec le numéro 396 dans un hôpital d'Hanoi en 1995.
Line Papin affiche une écriture très mature pour son jeune âge (23 ans au moment de la rédaction), ce qui en fait une romancière selon moi très prometteuse. On pourrait qualifier le style de très contemporain avec parfois l'emploi du registre courant ou vulgaire lors de citations ou évocations de l'entourage de la narratrice. Les commentateurs du milieu littéraire ont pu qualifier Line de « nouvelle
Marguerite Duras ». J'avais en effet eu cette impression en cours de lecture notamment en tombant sur des répétitions visant à insister sur une émotion ou le sentiment de désarroi éprouvé par l'auteur : « … les bleus en héritage, les os en héritage, la mort en héritage ». de même, on retrouve le style de
Marguerite Duras lorsque Line use et abuse de la forme interrogative, ce qui me pousse à croire à un usage cathartique de l'écriture chez la jeune femme, presque comme une thérapie avec une traduction littérale des pensées : « Qui sont ces gens ? Que me veulent-ils ? Pourquoi me dévisagent-ils ? Me parlent-ils, m'aident-ils ? ».
En somme, une histoire familiale très intéressante, et des personnages importants, comme la grand-mère Bâ ou la nourrice.
Les os des filles m'a étrangement donné envie d'aller visiter le Vietnam et comprendre cette fascination de l'auteur pour sa vie d'antan et son pays d'origine. L'enfance idyllique de Line, dans un pays chaud, la sécurité d'une résidence avec lac et piscine peuplée d'expatriés, décrit avec tant de nostalgie, n'a pas manqué de me faire rêver.